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L’autisme toujours pas dans la voie royale de la science, déjà dans celle du marketing (Aurélie Haroche, Journal International de Médecine)

Paris, le samedi 13 avril 2019 – Largement médiatisée, la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme a été « célébrée » le 2 avril dernier. Une triste fête pour certaines familles qui se sont mobilisées ces dernières années pour contribuer à des changements significatifs de la prise en charge de l’autisme dans notre pays. Certes, la maladie connaît désormais une certaine visibilité et paraît être l’objet d’une attention politique soutenue. Mais dans les faits, l’accompagnement des patients est-il diamétralement meilleur ?

Profits exponentiels

Sans doute pas, répond Olivia Cattan, présidente de Paroles de femmes et de l’association SOS autisme France dans un billet de blog publié sur le site du Huffington Post. Ce 2 avril, son humeur était amère. « Longtemps parent pauvre du handicap, l’autisme fait l’objet aujourd’hui d’un intérêt particulier de la part des politiques. Mais pas seulement. Il est aussi au cœur d’un marketing et d’un business juteux qui semblent sans limite » commence-t-elle avant de citer les « méthodes comportementales diverses et variées », les « traitements biomédicaux les plus farfelus, les coachs autisme, les nouveaux gourous qui se revendiquent des neurosciences, les pseudo-experts en autisme sur l’emploi, les formations bidon que l’on vend à prix d’or aux parents comme aux professionnels, les hypnothérapeutes ou ostéopathes avec la mention publicitaire “autisme”, l’Equithérapie et la Delphinothérapie, le Neurofeedback ou encore l’auriculothérapie… L’autisme est devenu en quelques années, un business lucratif qui s’est développé en appauvrissant les familles qui vont d’illusion en désillusion », réprouve-t-elle.

Plus loin, elle revient sur l’aspect financier de ces dérives, dont beaucoup s’apparentent à des escroqueries : « Une séance d’équithérapie, coûte en moyenne 70 euros de l’heure. Pour 5 jours, la Delphinothérapie coûte 1950 euros, voyage compris. Une séance d’hypnothérapie “autisme par skype” environ 110 euros. Une séance d’auriculothérapie-autisme, 50 euros. Une séance de Neurofeedback environ 45 euros. Concernant les formations, certaines sont valables d’autres pas. Mais comme il n’y a aucun contrôle, leur efficacité reste à prouver. Leurs coûts fluctuent selon le nombre d’heures, et que l’on soit parent ou professionnels, et oscillent entre 500 et 1200 euros. Une psychologue ABA, TEACH, PECS coûte en moyenne de 50 à 60 euros. Mais si elle est en plus BCBA (plus ABA qu’ABA pour reprendre la blague de Coluche sur la lessive qui lave plus blanc que blanc), alors nous passons à 70 euros. (…)  Il y a aussi tous ces petits gadgets ultra-coûteux que l’on peut trouver sur des plateformes de vente en ligne: Petites marionnettes pour représenter les émotions 45 euros, coussins “tout doux” à 40 euros…Un commerce aux profits exponentiels enrobé par un langage marketing évoquant l’intégration sensorielle, l’inclusion, la diversité, et les neurosciences », énumère-t-elle.

De fausses idées sur la psychanalyse ?

La détresse des familles souvent livrées à elles-mêmes et l’errance diagnostique expliquent en grande partie que les parents n’hésitent pas à dépenser des « fortunes » dans des techniques qui sont loin d’avoir fait leurs preuves et dont certaines pourraient s’apparenter à des sectes (la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires a émis plusieurs alertes en la matière).
Outre le développement de ce business juteux et dangereux, certains constatent également avec réticence la place trop importante que conserverait la psychanalyse (mais aussi la psychiatrie) dans la prise en charge de l’autisme. Sur ce point, les passes d’arme entre le secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel et certaines associations de psychiatres ont témoigné combien le sujet demeure extrêmement passionnel. D’une manière générale, les psychanalystes (et parmi eux beaucoup sont psychiatres) continuent à réfuter la façon dont leur rôle est présenté par un grand nombre d’associations de familles touchées par l’autisme. Ils considèrent en particulier comme caricaturales les accusations souvent répétées (et étayées) d’une tendance à la culpabilisation des familles. Plusieurs tribunes récentes destinées à la défense de la psychanalyse (régulièrement remise en cause ou rudoyée y compris par des psychanalystes eux-mêmes !) tiennent ainsi à rappeler l’apport supposé de cette dernière concernant l’autisme. « Le récent exemple de la prise en charge de l’autisme suffit à montrer l’ignorance des accusateurs de la psychanalyse. Car si les reproches adressés à la psychanalyse dans ce domaine étaient à la mesure du désarroi, des souffrances et des espoirs déçus des familles, la participation des psychanalystes au travail scientifique ne s’en est pas moins poursuivie. Associés au travail sur le signe Preaut concernant les risques d’évolution autistique chez l’enfant de moins de 12 mois, ils sont actuellement signataires des premières publications sur cette question » écrivaient ainsi il y a quelques mois plusieurs psychanalystes (dont des psychiatres et des psychologues) dans Libération. Ces derniers, emmenés notamment par Marie-Frédérique Bacqué (Université de Strasbourg) ajoutaient encore que les « psychanalystes contribuent à faire avancer la connaissance sur l’autisme ».

Le ménage doit d’abord être fait chez les auteurs de travaux scientifiques

Cependant, si l’on veut considérer que l’amélioration de la prise en charge de l’autisme, afin notamment de la soustraire aux dangers du marketing, passe par un renforcement de la démarche scientifique, comment continuer à s’en remettre à la psychanalyse, dont certains adeptes évoquant la science parlent « d’idéologie scientiste » ou encore de « croyance en la science », pour reprendre les expressions de Sophie Mareet-Maleval (Paris 8 Saint Denis) et d’Aurélie Pfauwadel (Paris 8 Saint Denis) dans une tribune publiée il y a quelques jours dans Le Monde ? Peut-être pour espérer une plus grande rigueur scientifique, la voie dessinée par la revue Molecular Autism est-elle plus pertinente. Après la diffusion d’un article ayant « engendré des controverses dans la presse » rapporte le docteur Hervé Maisonneuve sur son blog, Molecular Autism a publié un éditorial proposant différentes règles pour des publications plus rigoureuses concernant l’autisme. Ces dernières concernent notamment la taille des échantillons qui « devront être d’au moins 200 », les valeurs de p, la réplication et enfin la communication avec les médias. Hervé Maisonneuve résume cette dernière recommandation aux auteurs par un direct : « arrêtez de dire n’importe quoi à la presse ». Et le médecin conclut : « La question est de savoir, si dans la compétition des revues il sera possible d’appliquer ces propositions ». Il est en tout cas remarquable de constater que concernant l’autisme, les dérives touchent également les auteurs de travaux scientifiques (probablement également en raison des sirènes du marketing) mais que des corrections tentent d’être apportées.

Ceci vaut-il une psychanalyse ? On ne s’en convaincra probablement pas en relisant :
Le post d’Olivia Cattan : https://www.huffingtonpost.fr/entry/journee-mondiale-de-sensibilisation-a-lautisme-fetons-ensemble-linaction-politique-et-le-business_fr_5c9a3a33e4b09b1e431dfec5
La tribune initiée par Marie-Frédérique Bacqué : https://www.liberation.fr/debats/2019/01/20/les-psychanalystes-a-l-heure-du-fake_1704221
La tribune de Sophie Mareet-Maleval et Aurélie Pfauwadel : https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/04/01/les-voies-de-renouvellement-de-la-psychanalyse-sont-nombreuses_5444312_3232.html (accès réservé aux abonnés)
Le blog d’Hervé Maisonneuve : https://www.redactionmedicale.fr/2019/03/molecular-autism-bravo-car-leurs-instructions-aux-auteurs-deviennent-plus-rigoureuses-que-celles-dau.html

Aurélie Haroche

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