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Faut-il débaptiser le syndrome d’Asperger ? (Dr Alan Cohen, Journal International de Médecine)

C’est un énorme pavé dans la mare que jette l’historienne américaine Edith Scheffer[1] avec son livre Asperger’s Children: The Origins of Autism in Nazi Vienna (récemment publié en français chez Flammarion, sous le titre Les enfants d’Asperger : le dossier noir des origines de l’autisme). L’historien des sciences médicales Herwig Czech[2] avait déjà montré que le « bon docteur » Hans Asperger (1906-1980) était en fait loin de mériter l’honneur posthume d’avoir son nom associé à une maladie, car il « appartenait à une mouvance antilibérale et antisémite » et « reconnaissait comme son mentor » (à l’hôpital pour enfants de Vienne vers 1940) « le Dr Hamburger, un nazi prônant une vision eugéniste des femmes comme génitrices et des enfants comme spécimens physiques » et qui « présidait à la purge de tout le personnel juif et libéral de l’hôpital pour enfants. »

Dès le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne nazie (Anschluss), en 1938, Asperger approuva « la politique nazie sur l’hygiène raciale et l’utilisation de la stérilisation pour empêcher les personnes indésirables de se reproduire. » En 1940, il devint un « expert médical » chargé de « dépister les sujets avec des maladies héréditaires et promouvoir le programme de stérilisation forcée », dans la finalité d’un « eugénisme positif. » Dans ce contexte où la dimension éthique n’était pas sa préoccupation majeure, il opérait une discrimination entre « certains enfants autistes qu’il pensait pouvoir éduquer » et d’autres, « plus handicapés », considérés comme « irrécupérables » par « manque de Gemüt », la capacité de s’intéresser aux autres (correspondant aujourd’hui au déficit de socialisation observé dans les troubles du spectre autistique). Les intéressés étaient alors envoyés généralement vers la clinique-mouroir Am Spiegelgrund[3] de Vienne où, «maltraités et soumis à des expériences » présumées « médicales », ils mouraient souvent de faim ou d’injections létales. »

Remettre en question la notion même de l’autisme

L’étude des archives a permis de montrer qu’Asperger « envoya au moins 37 de ses patients à Spiegelgrund » et qu’il n’hésitait pas à préconiser « l’euthanasie » pour ceux qu’il était « impossible de scolariser. » Après ces révélations sur le passé (longtemps méconnu mais très sulfureux) du médecin devenu pourtant l’éponyme des « autistes de haut niveau » (se désignant parfois eux-mêmes par l’abréviation familière « aspie »), intervenant alors que l’Association des psychiatres allemands présente enfin des « excuses tardives » aux victimes de nombreux psychiatres allemands pendant le Troisième Reich, il devient difficile de continuer à l’honorer en conservant l’association de son nom à un syndrome. Aussi cette enquête bouleversante d’Edith Scheffer a-t-elle « conduit à débaptiser ce syndrome d’Asperger aux États-Unis. » Le reste du monde suivra-t-il cet exemple ?

Mais pour certains commentateurs, Edith Sheffer aurait un « objectif plus ambitieux que de mettre en lumière la complicité d’Asperger dans les atrocités de guerre » : elle souhaiterait aussi « remettre en question la notion » même de l’autisme comme une « catégorie de diagnostic légitime », en rappelant qu’une source majeure de ce diagnostic s’enracine « dans les conceptions nazies » en matière d’eugénisme et de maladies mentales.

[1] https://www.youtube.com/watch?v=JQUWJhDJPxw & https://historynewsnetwork.org/article/169207
[2] https://molecularautism.biomedcentral.com/track/pdf/10.1186/s13229-018-0208-6
[3] https://www.liberation.fr/planete/2000/03/21/proces-d-un-mengele-autrichien-symbole-de-l-absence-de-denazification-le-dr-gross-devrait-etre-enfin_320563 & https://en.wikipedia.org/wiki/Am_Spiegelgrund_clinic
Dr Alain Cohen

RÉFÉRENCE
Rubinsztein JS : Book review. Br J of Psychiatry; 2019: 214: 176.

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