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Claire Compagnon : « Le repérage des TND est une priorité pour la formation des médecins (Coline Garré, Le Quotidien du Médecin)

La stratégie nationale autisme et troubles du neurodéveloppement (TND) lancée en 2018 se donnait comme priorité d’améliorer le repérage et les bonnes pratiques dans le diagnostic et l’accompagnement, tout en promouvant la recherche. Bilan avec Claire Compagnon, alors que la mise en œuvre entre dans sa dernière année.

LE QUOTIDIEN : Seulement 14 % des enfants présentant des troubles du neurodéveloppement (TND) seraient repérés par les professionnels de santé de première ligne. La sensibilisation de ces acteurs a-t-elle progressé depuis le lancement de la stratégie ?

CLAIRE COMPAGNON : La précocité du repérage et de l’intervention est un élément clef au regard de la situation clinique des enfants, nous en avons fait une priorité de notre politique publique. En outre, il est important d’éviter les périodes d’errance diagnostique et d’absence de réponses aux inquiétudes des parents, qui sont les premiers lanceurs d’alerte.
Nous avons fait le constat d’un travail important à mener auprès de la première ligne d’intervenants. Nous avons lancé plusieurs actions en parallèle pour former les généralistes et les pédiatres sur les territoires, ainsi que les acteurs de la petite enfance. Nous avons demandé aux plateformes de coordination et d’orientation (PCO) et aux centres ressources autisme de les sensibiliser. Nous avons inscrit ces sujets au rang des priorités de l’Agence nationale du DPC (développement professionnel continu, NDLR), qui propose en 2022 deux lots de formation : l’un pour aider les médecins traitants à repérer les signes d’alerte des TND, l’autre à destination des généralistes et pédiatres déjà sensibilisés.
Trois organismes de DPC viennent d’être retenus (Infor Santé, InterCAMSP et Coridys Var), et ces actions seront financées à hauteur de 22 millions d’euros ces trois prochaines années. Nous sensibilisons aussi les délégués de l’Assurance-maladie aux TND et à l’importance de leur repérage pour qu’ils s’en fassent le relais auprès des soignants de ville. Ils leur soumettent notamment le livret « Détecter les signes d’un développement inhabituel chez les enfants de moins de 7 ans ». Deux autres documents vont paraître rapidement : l’un pour aider les professionnels de la petite enfance à repérer les écarts de développement, l’autre, consacré aux 7-12 ans.
Depuis 2019, les médecins bénéficient, pour prendre le temps de ce repérage, de financements supplémentaires de l’Assurance-maladie dans le cadre des consultations complexes à 60 euros pour le diagnostic de l’autisme, et depuis 2021, de tous les TND.

Quel bilan tirez-vous de ces plateformes ?
Quelque 73 PCO dans près de 70 départements sont aujourd’hui ouvertes pour les enfants de 0-6 ans. Notre objectif est de couvrir tout le territoire national en 2022. Nous observons une forte montée en charge avec un nombre d’enfants adressés par les premières lignes aux PCO qui double tous les six mois. Plus de 19 000 enfants ont été adressés au 31 décembre, ils étaient 15 000 au 1er septembre et 6 000 en mars dernier.
Ces dispositifs renforcent les liens entre les intervenants sur les territoires. Les généralistes et les pédiatres peuvent y trouver des ressources expertes et échanger avec le médecin coordonnateur. Les professionnels libéraux voient leur rôle s’accroître dans l’organisation des parcours, par exemple, lorsque la plateforme adresse l’enfant à un orthophoniste, un (neuro)psychologue, un psychomotricien ou un ergothérapeute.
Ces PCO contribuent en outre à réduire les inégalités dans l’accès aux soins puisque les actes de diagnostic et les interventions précoces non prises en charge par l’Assurance-maladie sont remboursés en totalité pendant deux ans maximum, sur la base de tarifs négociés avec les professionnels. Au 1er septembre, 30 millions d’euros de forfaits avaient été dépensés au profit des familles.

Où en est le projet pour les 7-12 ans ?
Le déploiement des PCO a été ralenti par la crise sanitaire. Nous souhaitons ouvrir une quinzaine de plateformes en 2022 : une a ouvert en Bretagne à Saint-Brieuc pour les 0-12 ans, nous soutenons en outre les PCO 0-6 ans qui veulent s’étendre aux 7-12 ans, ainsi que le dispositif expérimental lancé l’an dernier avec Occitadys pour les enfants avec des troubles dys.

Qu’en est-il de l’accès au diagnostic et à une prise en charge adaptée, une fois les troubles repérés ?
Nous travaillons à réorienter les 27 centres ressources autisme (CRA) vers la réalisation des diagnostics des situations complexes – leur mission première, dont ils avaient pu s’éloigner pour répondre à la demande de diagnostic simple avant la création des PCO.
Nous visons aussi à réduire les délais, puisque selon le rapport de l’Igas de 2016 sur les CRA, il fallait en moyenne 457 jours pour obtenir un diagnostic. Nous avons réussi à réduire cette durée de 125 jours en 2021 en dotant les CRA de renforts en personnels soignants et médicaux. Nous restons attentifs à ce que cette tendance aille de pair avec des diagnostics qualitatifs.
En ce qui concerne la prise en charge par les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP), les centres médico-psychologiques (CMP) et médico-psycho-pédagogiques (CMPP), nous déplorons des listes d’attente très longues, problème ancien qui s’est accru avec la pandémie. C’est pourquoi les 25 millions supplémentaires d’aide aux PCO obtenues pour 2022 devraient leur être alloués en priorité. Nous pouvons compter également sur les 400 postes supplémentaires dans les CMP infanto-juvéniles annoncés par Emmanuel Macron lors des Assises de la psychiatrie.
Nous sommes engagés dans un grand chantier d’amélioration de la qualité des accompagnements, encore très hétérogènes. Nous avons lancé début janvier 2022 une expérimentation avec une centaine de structures volontaires. Chaque CAMSP, CMP et CMPP participant s’autoévalue et rédige un plan d’actions pour améliorer la qualité du parcours. Les agences régionales de santé (ARS) sont chargées d’analyser ces plans.

Les adultes autistes sont longtemps restés dans l’angle mort des politiques publiques. Leur situation s’améliore-t-elle ?
L’on considère que la France compte 600 000 adultes autistes, dont un grand nombre n’a pas été (correctement) diagnostiqué et se retrouve dans des accompagnements trop généralistes, pas assez individualisés. Certains sont hospitalisés au long cours dans des établissements de santé mentale : ce n’est pas admissible.
Nous avons mis en place depuis 2019 un plan national de repérage de ces adultes avec trouble du spectre de l’autisme (TSA) vivant dans les hôpitaux psychiatriques et les établissements médico-sociaux « généralistes ». C’est un travail de longue haleine, qui nous oblige en parallèle à réviser les modes actuels d’accompagnement et à améliorer les compétences des acteurs de la psychiatrie et du médico-social.
Quatre régions sont pilotes (Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts-de-France, Aquitaine et Occitanie). Les ARS travaillent avec les établissements pour réorienter les personnes avec TSA et former les personnels. Plus largement, depuis le début de la stratégie, l’on constate que le monde de la psychiatrie s’est ouvert à ces questions.
Par ailleurs, nous créons 40 unités résidentielles pour accueillir les adultes autistes aux troubles très complexes, financées pour l’instant à hauteur de 45 millions d’euros. Les trois premières ouvriront ce trimestre.

La stratégie se termine en 2022. Quelles seront les futures priorités ?
La scolarisation des enfants handicapés reste un sujet très important. Aujourd’hui, 43 000 enfants autistes sont scolarisés dans l’école ordinaire. Il faut mettre en place les ressources médico-sociales dans les établissements pour offrir à chacun un accompagnement individualisé selon ses difficultés. Nous avons des dispositifs renforcés en maternelle, mais aussi en élémentaire, notamment avec les dispositifs d’autorégulation dont il faudra poursuivre le déploiement. La scolarisation au collège et au lycée reste également une priorité, car elle ne doit pas donner lieu à des ruptures de parcours.
La formation des auxiliaires de vie scolaire (AVS) doit être renforcée. L’arrivée de plus en plus importante de ces enfants en école ordinaire nécessite des moyens ; un chantier partagé entre le secrétariat d’État chargé des personnes handicapées et l’Éducation nationale. Il faut aussi continuer à mieux repérer les enfants avec TND, en mettant davantage l’accent sur les enfants ayant un trouble avec déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH).
En matière de recherche, la structuration d’un réseau de chercheurs, portée par le Groupement d’intérêt scientifique créé en 2020, doit être consolidée pour rayonner en France et à l’international et accélérer la diffusion des bonnes pratiques auprès des acteurs du domaine.
La stratégie 2018-2022 devait relever un défi quantitatif en termes de réponses à apporter ; nous devons aussi garantir la qualité de l’accompagnement des personnes, un enjeu transversal majeur, touchant l’école, le domicile, les établissements. Nous avons commencé à accompagner le changement dans les pratiques professionnelles avec une diffusion massive de formations aux TND. Nous devons poursuivre et intensifier cette dynamique pour que les recommandations de bonnes pratiques professionnelles de la Haute Autorité de santé soient parfaitement maîtrisées en tout point du territoire.

Propos recueillis par Coline Garré

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