Autisme : du dépistage aux bases cérébrales et génétiques (Coline Garré, Le Quotidien du Médecin)
La communauté médicale aura-t-elle bientôt à portée de main un dispositif de dépistage des troubles du neurodéveloppement (TND) dans les fratries ? Tel est le projet porté par l’un des cinq centres d’excellence, le Center of Excellence for Autism and Neurodevelopmental Disorders (CeAND) de Montpellier, présenté lors du deuxième colloque anniversaire du Groupement d’intérêt scientifique (GIS) Autisme et TND.
Les cinq centres d’excellence, labellisés en 2019 et 2020, ont pour vocation de développer des connaissances au plus près des personnes concernées et de diffuser les innovations et bonnes pratiques aux professionnels et accompagnants de proximité. Ils font partie du GIS, lui-même créé en 2018 dans le cadre de la stratégie nationale pour « mettre la science au cœur des pratiques » et présidé par la Pr Catherine Barthélémy.
Le projet porté par le CeAND illustre ainsi le souci d’une recherche appliquée aux problématiques courantes. Quelques centaines de familles, dont l’un des enfants de moins de 16 ans a un trouble du spectre autistique (TSA), seront recrutées en Occitanie. Plusieurs outils de dépistage (SRS-2, DCDQ-FE et IdentiDys) leur seront proposés ainsi qu’un questionnaire sondant l’inquiétude des parents. En cas de dépistage positif, un rendez-vous avec un psychologue est prévu, puis un entretien clinique. Un an plus tard, les familles seront recontactées pour savoir si un diagnostic et une prise en charge leur ont été présentés. « L’enjeu est de favoriser l’accès au diagnostic dans une population à risque, tout en favorisant la coordination du parcours de soins entre les structures », a souligné la Dr Marie-Christine Picot, responsable de l’unité de recherche clinique et d’épidémiologie au CHRU de Montpellier.
Dépister par l’eye-tracking
À Tours, l’équipe iBrain de Nadia Aguillon-Hernandez du centre EXAC-T s’intéresse aussi au dépistage, mais en s’appuyant sur l’oculométrie (ou eye-tracking). « Les personnes typiques et celles avec TSA explorent différemment les visages ; on souhaitait savoir si l’analyse de leur façon de réagir peut aider au dépistage », résume Nadia Aguillon-Hernandez. Son équipe a donc mesuré plusieurs paramètres chez des enfants à qui l’on présentait des visages statiques, dynamiques, ainsi que des objets et avatars. « La réponse pupillaire et la vitesse d’exploration d’un visage pourraient être discriminantes, contrairement au temps que passe la personne sur les yeux », explique la chercheuse.
L’équipe vient de recevoir un financement de l’Agence nationale de la recherche pour affiner ces résultats, notamment avec l’aide du machine learning, et créer à terme un outil de dépistage basé sur l’eye-tracking. « On l’espère simple d’utilisation, rapide d’analyse et nomade, pour qu’on puisse l’emmener dans les plateformes de coordination et d’orientation (PCO), chez les professionnels de santé, et pourquoi pas dans les crèches », souligne Nadia Aguillon-Hernandez.
L’ocytocine, des réseaux innés et adapatifs
D’autres centres d’excellence se spécialisent dans la recherche fondamentale. Si la piste de l’ocytocine – cette hormone de l’attachement – se révèle pour l’instant décevante en thérapeutique, elle reste au cœur de travaux visant à comprendre les comportements sociaux des personnes avec TSA. Comme les recherches d’Amélie Soumier (Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod), au sein du centre iMIND de Lyon. Son équipe a ainsi cartographié le développement post-natal des réseaux des neuropeptides que sont l’ocytocine et la vasopressine (antidiurétique, plutôt associé à l’agressivité), grâce à une microscopie à feuille de lumière. « Nous avons montré que les neurones de l’ocytocine se développent distinctement de ceux de la vasopressine et que leur dynamique dépend de chaque région cérébrale. En outre, nous avons mis en lumière deux réseaux d’ocytocine parallèles, l’inné, impliqué dans les comportements stéréotypés, et l’adaptatif en périnatal », explique Amélie Soumier. L’étape suivante serait de trouver les liens fonctionnels entre ces deux réseaux de l’ocytocine et les TSA.
Origine de la dyslexie
À Paris, Franck Ramus du centre d’excellence inovAND utilise la neuro-imagerie, plus précisément, la magnétoencéphalographie, pour explorer les bases cérébrales de la perception de la parole dans, non plus les TSA, mais la dyslexie. « Si l’on croit savoir que la dyslexie s’explique par un déficit phonologique, la nature du trouble reste controversée et un débat existe sur un lien avec un déficit auditif », remet en perspective le chercheur. Son équipe s’est penchée sur l’activité cérébrale d’une vingtaine de personnes dys en train d’écouter une parole, comparées à 20 cas contrôles. « On a trouvé de petites différences entre les personnes dys et les autres, que ce soit pour la parole à rythme lent (cortex auditif droit) ou rapide (gauche). C’est une base cérébrale possible du déficit phonologique, mais l’on ne sait pas encore si le déficit vient du traitement bottom up (du système périphérique au système nerveux central) ou descendant (depuis les lobes frontaux) », conclut-il.
Enfin, l’équipe d’Amélie Piton de l’Institut de génomique et de biologie moléculaire et cellulaire, lié au Stras&ND de Strasbourg, explore les bases génétiques des TND, en se concentrant sur le gène DYRK1A. Les chercheurs sont notamment parvenus à mieux caractériser le syndrome du même nom, permettant une meilleure prise en charge, et ont développé des outils pour le diagnostic moléculaire.
Ouverture à l’international
Au-delà de la recherche que conduisent les centres d’excellence, le GIS rassemble 114 équipes labellisées et 600 chercheurs. La moitié des équipes travaillent sur plusieurs TND et 17 sont spécialisées dans les sciences humaines et sociales. « Il y a une véritable communauté de recherche au travail, assez pacifique, ce qui n’est pas souvent le cas dans le champ de l’autisme », a salué Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale, rappelant que « cette nouvelle structuration de la recherche doit nous aider à orienter notre action en tant que responsables publics ».
« Nos ambitions sont désormais d’ouvrir le GIS à l’international, en commençant par l’Europe, et de développer encore et toujours la recherche participative », a souligné le Pr Pierre Gressens, neuropédiatre et directeur adjoint du GIS.
Coline Garré