Réforme de l’isolement et de la contention : « des conséquences logistiques et organisationnelles considérables » (Interview du Dr Gilles Martinez, chef de pôle au GHU Paris Psychiatrie & Neurosciences, Propos recueillis par Frédéric Haroche)
Paris, le samedi 30 janvier 2021 – Éclipsé par la pandémie de Covid-19, un nouveau texte de loi concernant l’isolement et la contention entraîne des bouleversements majeurs en psychiatrie. Sans réels moyens supplémentaires, les services de psychiatrie, déjà sous tension, doivent, en vertu de ce texte, se soumettre à une nouvelle réglementation draconienne, organisant notamment le contrôle du juge. Pour le JIM, le Dr Gilles Martinez revient sur le désarroi et l’inquiétude que provoque ce texte dans les hôpitaux psychiatriques.
JIM : Que dispose la nouvelle loi sur l’isolement et la contention ?
Dr Gilles Martinez : Avant toute-chose, je voudrais souligner que la profession a très à cœur de réduire au strict nécessaire le recours aux mesures d’isolement et de contention.
Ce nouveau texte vient préciser et renforcer des dispositions de la loi de 2016 de « modernisation du système de santé » stipulant expressément que l’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et amenant l’idée qu’elles devaient être d’une durée limitée, mais sans précision. Cette loi avait aussi imposé l’obligation de la tenue d’un registre des isolements et des contentions, consultable par certaines institutions.
Mais cette législation a été jugée contraire à la constitution en juin 2020 parce qu’elle ne précisait pas, justement, ces durées maximales, ni les modalités de contrôle par l’autorité judiciaire.
Donc le nouveau texte, entré en vigueur le 1er janvier, prévoit qu’une mesure de contention ne peut être prescrite que par un psychiatre, et prise pour une durée maximale de 6h, renouvelable dans la limite d’une durée totale de 24h ; tandis que la mesure d’isolement est prise pour une durée maximale de 12h, renouvelable jusqu’à 48h. Le texte exige l’information du patient et de son entourage sur les voies de recours et, au-delà de ces durées, la saisine du juge des libertés et de la détention (JLD). Une prolongation exceptionnelle des mesures est en effet envisageable, mais le nombre de renouvèlement possible n’est pas stipulé.
Or, sauf à recruter rapidement de nombreux magistrats, je ne vois pas comment les JLD pourront intervenir systématiquement avec la célérité imposée, soit maximum dans les 24 heures après la saisine comme le dispose le texte.
Reste à savoir également sur quels éléments se baseront les juges pour éventuellement décider de mettre fin à la mesure…
Une réforme à marche forcée
JIM : Les psychiatres ont-ils été consultés par les autorités dans le cadre de cette réforme ?
Dr Gilles Martinez : Cette réforme a été élaborée à marche forcée, puisque le juge constitutionnel avait donné aux législateurs jusqu’au 31 décembre 2020 pour voter une nouvelle loi, soit six mois !
Et non, à ma connaissance ni les sociétés savantes, ni les syndicats n’ont été consultés.
JIM : Quelles conséquences pourraient avoir cette loi sur la contention en dehors des services de psychiatrie ?
Dr Gilles Martinez : Le premier alinéa de cet article, d’ailleurs étrangement apparu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, peut en effet laisser penser qu’en dehors de la psychiatrie, il ne sera plus possible d’utiliser la contention puisqu’il est précisé que seuls les patients en hospitalisation complète sans consentement sont concernés.
C’est d’ailleurs assez stigmatisant pour la spécialité, puisqu’on envisage la contention comme une pratique propre à la psychiatrie hospitalière, ce qui n’est évidemment pas le cas.
Est-ce que cela aura des conséquences réelles sur la pratique hors psychiatrie ? Difficile à dire, ce qui est sûr : on a occulté la réalité des services de neurologie, de gériatrie, d’urgence…
Une réforme chronophage dans un contexte démographique alarmant
JIM : Cette nouvelle législation vous paraît-elle applicable en l’état ?
Dr Gilles Martinez : Absolument pas ! Rappelons en effet que la démographie en psychiatrie hospitalière est alarmante, ainsi 1/3 des postes de PH ne sont pas pourvus dans notre discipline. Concernant le personnel soignant, les difficultés de recrutement sont criantes, comme partout à l’hôpital.
Par ailleurs, ce texte vient s’ajouter à un mille-feuille législatif déjà très contraignant et parfois contradictoire.
Ce texte va donc avoir des conséquences logistiques et organisationnelles considérables. Les médecins vont passer leur temps à faire des certificats (ce qui est déjà le cas !), les infirmiers vont passer leur temps à faire imprimer et signer des notifications aux patients et les secrétaires vont passer leur temps à envoyer des documents aux proches et au JLD.
Avec tout ça : qui va encore vouloir venir travailler à l’hôpital ? Qui voudra encore prendre des gardes ? Est-ce qu’on aura encore du temps pour l’écoute et la clinique ? Est-ce qu’on pourra encore travailler des liens de qualité avec des partenaires extérieurs à l’hôpital ?
Sans oublier que le texte dispose que c’est le psychiatre « sénior » et pas un interne qui devra se charger de la prescription et du renouvèlement des mesures de contention et d’isolement.
JIM : A combien évaluez-vous les moyens financiers et humains nécessaire à l’application pleine et entière de cette nouvelle loi ?
Dr Gilles Martinez : Dans la présentation du projet de loi, le législateur a souligné la nécessité, pour rendre son application possible, de renforcer les équipes, de développer des dispositifs innovants et de former davantage les professionnels. Le coût estimé a été évalué à 15 millions d’euros pour 2021. Des projections ont été faites par ailleurs qui considèrent que c’est plutôt 50 millions qui seraient nécessaires !
Au-delà du chiffrage, ce qui est certain, c’est qu’on nous demande d’appliquer la loi depuis le 1er janvier sans avoir, ne serait-ce, qu’entre-aperçu des moyens supplémentaires.
Pour résumer : on nous livre un texte sans nous consulter et on nous laisse nous dépêtrer avec.
Il faut rappeler à quoi servent isolement et contention
JIM : Toutes les mesures d’isolement et de contention pourraient-elles être empêchées avec des effectifs satisfaisants ?
Dr Gilles Martinez : C’est une question cruciale. Dans mon établissement nous menons depuis longtemps une réflexion qui, hasard du calendrier, va déboucher sur le développement et l’expérimentation de mesures alternatives à l’isolement et à la contention. Il pourrait s’agir de « contention volontaire », c’est à dire associer le patient à la gestion de la crise et à son éventuelle résolution par d’autres moyens de contention ou le recours à une chambre d’apaisement par exemple.
Il faut en effet rappeler que la contention et l’isolement sont des mesures thérapeutiques, décidés pour prendre en charge des situations d’agitation, d’hétéro-agressivité ou des crises suicidaires très intenses qui peuvent mettre en danger les patients et le personnel, dans un cadre de soins plus global et après l’échec d’alternatives qu’elles soient médicamenteuses ou non.
Aussi, quand bien même on disposerait d’un personnel illimité, il est illusoire, à mon avis, de croire qu’on pourrait se passer complètement de ces soins intensifs. Notamment dans le cadre législatif français qui heureusement permet l’accès aux soins de personnes qui à un moment donné peuvent ne pas en percevoir la nécessité et de fait s’y opposer.
Précisons enfin que les quelques études sur le sujet montrent que l’environnement législatif, aussi contraignant qu’il soit, a bien peu d’effet sur la réduction du recours à ces mesures.
JIM : Craignez-vous des poursuites judiciaires de patients ou d’associations sur la base de ce texte ?
Dr Gilles Martinez : Cela arrivera, c’est certain. Cela se produit déjà pour les admissions en soins psychiatriques sans consentement, donc il n’y a pas de raison que ça ne survienne pas avec cette nouvelle loi. Il y aura donc des demandes de mainlevée, parfois au détriment, à mon sens, de la nécessité de soins.
Plus généralement, la psychiatrie est soumise à un perpétuel mouvement de balancier entre un extrême concernant le respect du droit des patients à la liberté et un autre extrême tout sécuritaire. Dans ce contexte, il m’apparaît que ce qui est pourtant essentiel, à savoir le droit à la santé pour les patients, est très souvent absent du débat. Plus que « l’internement abusif », le risque actuel est plutôt qu’on ne soit plus en mesure de prendre en charge à l’hôpital ceux qui en ont besoin !
JIM : Qu’attendez-vous du décret d’application à venir ?
Dr Gilles Martinez : Tout simplement que le décret vienne prendre en considération la réalité du terrain, aussi bien en termes clinique qu’organisationnel.
La possibilité que les internes puissent prendre certaines décisions, avec l’aval d’un sénior d’astreinte par téléphone, pourrait par exemple déjà un peu faciliter l’application. Assouplir l’horodatage des décisions me paraît également indispensable.
Espérons que la nouvelle Commission Nationale de la Psychiatrie qui vient tout juste d’être installée pourra relayer les préoccupations et les propositions des professionnels auprès du gouvernement et des parlementaires, et aura un poids sur le décret à venir…
Propos recueillis par Frédéric Haroche