Vu à la télé : quand les pseudosciences tiennent la vedette (Aurélie Haroche, Journal International de Médecine)
Paris, le samedi 25 mars 2017 – Dans une longue tribune publiée dans ces colonnes au mois de décembre, le rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences, Jean-Paul Krivine nous avait proposé une analyse détaillée des multiples biais qui peuvent influencer notre perception de certains risques et qui au-delà peuvent nous pousser à porter crédit préférentiellement à certaines informations plutôt qu’à d’autres. Plus concrètement, il est certain qu’un défaut de culture scientifique empêche une partie importante de la population (même chez ceux se pensant les plus avertis) d’appréhender certaines données. L’école a nécessairement un rôle à jouer pour offrir les outils nécessaires à la mise en œuvre de cet esprit rationnel, scientifique et critique. Mais la télévision publique ne devrait pas être en reste. C’est tout au moins l’opinion de l’Association pour la science et la transmission de l’esprit critique (ASTEC) qui sur son site vient de publier une lettre ouverte aux médiateurs des programmes de l’audiovisuel public.
Des magnétiseurs aux dangers des ondes
L’ASTEC a établi une liste (non exhaustive) des reportages et émissions diffusés en 2016 et depuis le début de l’année sur les chaînes de télévision et de radio publiques présentant sans (grandes) nuances les mérites des médecines alternatives. Ainsi, un reportage sur la profession de magnétiseur diffusé en janvier 2016 ne comporte qu’un unique bémol en cinq minutes sur l’absence totale de preuve de cette pratique. Quelques mois plus tard, on s’interroge sur France 2 sur « les recettes miracles » des plantes, tandis que France 5 se proposera en décembre de revenir sur la « mémoire de l’eau ». Ces productions (parmi de nombreuses autres) épinglées par l’association ne concernent pas uniquement la présentation complaisante de méthodes dont la pertinence scientifique n’a jamais été prouvée. L’ASTEC réprouve également le fait que France Télévisions semble participer à renforcer les inquiétudes de la population face à des menaces dont l’ampleur apparaît souvent amplifiée (voire imaginaire). Ainsi, lui reproche-t-elle « la présentation complètement erronée d’un rapport sur la contamination des eaux par les pesticides » lors d’un numéro de Cash investigation consacré aux produits chimiques. L’association vise encore la tribune offerte au professeur Dominique Belpomme dont les thèses sur les liens entre ondes électromagnétiques et cancer sont très controversées par l’ensemble de la communauté scientifique.
Le rôle pédagogique de France Télévision
Si cette façon pour France Télévision de surfer sur les hantises qui agitent aujourd’hui une société très soucieuse d’être protégée par un principe de précaution érigé en bouclier hérisse l’ASTEC, c’est parce qu’elle se fait une très haute idée de l’audiovisuel public. Elle rappelle que le site de France Télévisions proclame : « La télévision publique a la charger d’informer, d’éduquer et d’animer le débat démocratique ». Pour l’ASTEC cela signifie qu’elle « a donc pour vocation de donner au public des clés de compréhension du monde basées sur des théories et des faits solidement étayés plutôt que de le flatter dans le sens de ses croyances irrationnelles ».
Pas de vaccin contre la tentation de la « post vérité »
La France, pays de la raison cartésienne, pourrait se considérer comme épargnée par le fléau de la post-vérité. D’ailleurs, les moqueries régulières de la France (et notamment des médias français) vis-à-vis des dérives que l’on constate aujourd’hui au plus haut sommet de l’état américain donnent à certains le sentiment que nous sommes immunisés contre les croyances irrationnelles et les « faits alternatifs ». Par ailleurs, la presse se livre de plus en plus à des entreprises de décryptage, avec pour objectif affiché de faire éclater la vérité. Cependant, ces démarches ne sont pas toujours exemptes de biais et de filtres. Leur existence néanmoins flatte l’esprit critique (et paradoxalement le met parfois en veille). L’ASTEC invite aujourd’hui à ne plus croire que notre propension à la moquerie ou à la polémique nous offre une protection parfaite contre l’irrationnel. « Trop facilement nous moquons la crédulité des créationnistes américains, des complotistes du 11 septembre ou encore des platistes (qui croient que la Terre est plate). Mais en 2017, les Français battent les records du monde de défiance envers les vaccins et de confiance envers l’homéopathie, en totale contradiction avec ce que la science nous donne à connaître sur ces sujets » fait remarquer l’organisation, qui ajoute : « On ne peut que constater l’importance du temps d’antenne voué à promouvoir ou à présenter sans esprit critique des dizaines de pseudosciences et de médecines non conventionnelles (…). Sans analyse critique, les allégations des pseudo-experts sont reçues comme des vérités validées par le service public et ajoutent un argument d’autorité « vu à la TV » dans l’arsenal de personnes incapables de prouver la justesse de leurs thèses et qui vivent donc de la crédulité des gens. À une époque où tout le monde déplore l’ère de la « post-vérité » les discours démagogiques, la radicalisation et les ravages de la pensée extrême, et où les pouvoirs publics déclarent régulièrement qu’il faut stimuler l’esprit critique, nous pensons que les journalistes devraient être parmi les premiers à se former pour comprendre la démarche scientifique et connaître les biais cognitifs qui leur font écrire des articles ou des reportages » insiste l’ASTEC.
Ainsi, l’association appelle aujourd’hui le service public de l’audiovisuel à « se montrer exemplaire sur l’exigence de l’utilisation des outils de la pensée critique et sur le refus de toute complaisance face aux discours qui contribuent à éloigner le public de la compréhension de la méthode scientifique ». L’appel sera-t-il entendu ? Rien n’est moins sûr.
Lettre ouverte de l’ASEC aux médiateurs des programmes de l’audiovisuel public
https://www.esprit-critique.org/2017/03/06/traitement-pseudosciences-service-public/
Aurélie Haroche