Recherche et neuro-imagerie fonctionnelle : disséquer la douleur pour mieux la traiter (Emmanuel Le Poul, Le Quotidien du Médecin)
L’imagerie fonctionnelle couplée à des techniques d’enregistrements intracérébraux permet de confirmer qu’il n’y a pas un centre unique de la douleur dans le cerveau. Explications avec le Dr Luis Garcia-Larrea (Hôpital Neurologique de Lyon.
« La douleur est une expérience complexe qui fait intervenir quasi simultanément une quinzaine de régions cérébrales s’activant de façon relativement ordonnée », explique le Dr Luis Garcia-Larrea, dernier lauréat de la fondation Unité-Guerra-Paul-Beaudoin-Lambrecht-Maïano-Institut de France pour son travail mené sur les mécanismes sous-jacents de l’expérience douloureuse. On parle plutôt de « matrice-douleur » qui correspond à un ensemble de structures connectées de façon complexe et interagissant de façon réciproque. On comprend dès lors la difficulté d’une intervention chimique ou chirurgicale spécifique pour atténuer les douleurs en agissant sur un noyau unique.
Il convient d’identifier les structures de cette matrice et de mesurer les mécanismes excitateurs ou inhibiteurs qui régissent leurs interactions. C’est la combinaison des techniques d’imagerie fonctionnelle (résonance magnétique, PET-Scan), de stimulation par « potentiels évoqués laser », d’enregistrements extra-cérébraux (électro-encéphalographie de haute densité ou magnéto-encéphalographie avec 100-200 électrodes) qui a permis à l’équipe du Dr Garcia-Larrea d’identifier les structures de cette matrice et de suivre leur implication dans l’intégration du message douloureux. Les chercheurs ont alors tenté de mesurer les mécanismes excitateurs ou inhibiteurs qui régissent leurs interactions.
« Nous avons la chance d’avoir des enregistrements intracrâniens chez des patients épileptiques ou avec des troubles moteurs qui ont des électrodes implantées », poursuit le Dr Garcia-Larrea. Ces électrodes aident donc à vérifier les hypothèses de recherche : « Stimuler par exemple au moyen d’un laser qui va seulement chauffer la peau en provoquant une stimulation purement nociceptive, permet ensuite d’enregistrer la séquence d’événements de la périphérie à l’intégration cérébrale que la stimulation laser a créée », explique le Dr Garcia-Larrea.
Rôle de l’insula postérieure
Le travail de l’équipe Neuropain a mis en évidence un rôle primordial d’une petite structure cérébrale, l’insula posterieure, qui reçoit l’essentiel de l’information nociceptive provenant du système spino-thalamique. D’autres structures (gyrus cingulaire médian, amygdale) reçoivent le même message : on parle alors de triade (une région sensorielle, une région motrice et une région émotionnelle). L’information non nociceptive, elle, arrivera plus rapidement au cortex sensoriel primaire.
Pour le Dr Garcia-Larrea, ces avancées, auxquelles plusieurs équipes dans le monde ont contribué, ont permis d’affiner « le GPS cérébral ou la cartographie spatio-temporelle de la construction de l’expérience douloureuse ». Cela laisse envisager des perspectives de diagnostic différentiel selon le type de douleurs et même de nouvelles modalités thérapeutiques, surtout dans le cas d’une douleur chronique par lésion neurologique qui échappe encore aux antalgiques. Dans ce cas, il a été montré un changement des structures qui s’activent avec même un recrutement de structures qui ne sont pas normalement activées par la douleur physiologique. Avec un système nerveux très abîmé, même en cas de petite douleur ou un petit contact, il y a un message erroné qui majore le message douloureux. On commence à songer à la possibilité de stimuler ou inhiber l’insula pour empêcher ce phénomène.
L’expérimentation pré-clinique de la neuro-stimulation a déjà débuté. En cas de validation, ces approches viendront en troisième ligne après les traitements plus classiques : paliers de l’OMS pour les douleurs par hyper-nociception, et gabapentinoïdes, tri/tétracycliques, anti-NMDA et stimulation précentrale pour les douleurs neuropathiques. On peut penser qu’une combinaison d’enregistrements, de stimulations et de pharmacologie pourrait être utile dans les années à venir.
* Médecin spécialiste en neurophysiologie clinique et directeur de l’équipe de recherche NeuroPain (INSERM) au Centre de recherches en neurosciences