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Risque tératogène du valproate de sodium : le retard des institutions et des industriels dénoncé (Journal International de Médecine, aurélie Laroche)

Paris, le mercredi 24 février 2016 – Face à une couverture médiatique de plus en plus riche des cas de familles victimes des effets secondaires tératogènes des médicaments à base de valproate de sodium (Dépakine et génériques), le ministre de la Santé a diligenté en juin dernier une mission d’enquête de l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS). Cependant, hier, lors de la présentation publique de ses conclusions, c’est le directeur général de la Santé, le professeur Benoît Vallet et le patron de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), Dominique Martin qui officiaient. Un retrait du ministre que certains inspecteurs ont regretté, considérant qu’il minimise la portée de leurs conclusions.

Des informations inexistantes ou parcellaires jusqu’en 2015

Ces dernières confirment les observations précédemment établies : les institutions et le principal titulaire de l’autorisation de mise sur le marche (Sanofi) auraient tardé à prendre en compte les informations évoquant le caractère tératogène des spécialités à base de valproate de sodium. Compte tenu des données scientifiques disponibles, l’IGAS estime que l’on peut considérer que dès 2004 existait une « accumulation de signaux » justifiant « des mesures d’information à l’attention des prescripteurs et des patients ». Cependant, longtemps la notice et le résumé des caractéristiques du produit (RCP) ont présenté des informations parcellaires. Dans la notice, « L’explicitation des risques liés à une grossesse sous traitement au valproate de sodium n’intervient qu’en 2010. Auparavant, un simple renvoi du type « Consulter votre médecin en cas de grossesse » était notifié », observe l’IGAS. Dans le RCP,  dans les années 90, « l’intégralité des malformations (alors documentées par plusieurs publications, ndrl) n’est pas renseignée », tandis qu’au début des années 2000 on ne trouve pas mention des risques de retard de développement. Il faudra attendre 2006 pour que ces derniers apparaissent dans le RCP, quand d’autres pays faisaient déjà figurer cette information en 2003-2004. L’IGAS dénonce encore des « divergences d’information entre différentes spécialités contenant du valproate de sodium, notamment entre les médicaments princeps et les génériques, ces derniers ne bénéficient d’une information actualisée que depuis juin 2015 ».

Les défauts du système de pharmacovigilance une nouvelle fois dénoncés

Cette situation traduit un « manque de réactivité » des institutions et des laboratoires relève l’IGAS qui souligne que les « alertes (…) ont été motivées davantage par des signaux exogènes, notamment médiatiques, que par une prise en compte des données de pharmacovigilance ». Une fois encore les défauts du système de pharmacovigilance, déjà sévèrement épinglés au moment de l’affaire Mediator, sont visés ; l’IGAS observant notamment que l’importance de certains signaux n’a pas été suffisamment prise en compte. Les inspecteurs déplorent également une « lourdeur administrative » et considèrent d’une manière générale que « la France n’est pas au nombre des pays les plus réactifs ». Pas sûr que la situation soit aujourd’hui totalement améliorée puisque l’IGAS a constaté que « la mise en place effective d’un système de management permettant de sécuriser le processus de pharmacovigilance n’a pas fait partie jusqu’en 2015 des priorités des directeurs généraux qui se sont succédés ». Cependant, elle l’est désormais (?).

Des recommandations générales

Parmi les recommandations formulées par l’IGAS beaucoup dépassent le cas des spécialités à base de valproate de sodium.  L’IGAS préconise entre autres l’inscription au programme de travail de l’ANSM d’inspections chez les industriels afin de vérifier « qu’ils remplissent leurs obligations en matière de pharmacovigilance » ou encore une harmonisation des positions de l’ANSM et de la Haute autorité de Santé (HAS) sur les conditions de prescriptions. Plusieurs des préconisations de l’IGAS devraient être suivies par les pouvoirs publics, comme l’ont annoncé Benoît Vallet et Dominique Martin. Ils ont ainsi promis la poursuite des évolutions initiées sous l’égide de la loi du 29 décembre 2011 avec notamment le renforcement de « l’organisation des systèmes de remontée des signalements de vigilance, d’inspection et de contrôle ». La sécurisation du Centre de référence des accidents tératogènes (CRAT) décrit par l’IGAS comme une « source d’information fiable et réactive » est également prévue ainsi que l’évaluation périodique de l’amélioration du service médical rendu de tous les médicaments inscrits sur la liste des médicaments sous surveillance renforcée.

Une indemnisation des victimes qui s’annonce complexe

Concernant les familles qui en raison du manque de réactivité de l’Etat et des laboratoires ont donné naissance à un enfant souffrant de malformations congénitales, de troubles neurodéveloppementaux ou de troubles du spectre autistique  sans avoir été averties des risques liés à la poursuite du traitement, complications qui auraient pu être évitées compte tenu des connaissances scientifiques, les annonces se font attendre. Un fonds d’indemnisation devrait cependant être créé. Sa mission sera complexe. D’abord quelle date devra-t-on considérer comme point de référence pour considérer que l’information a été insuffisante ? Par ailleurs, des divergences existeront sans doute quant à l’évaluation du nombre de personnes concernées. L’IGAS ne donne une estimation que pour la seule période après 2006 (soit après l’actualisation de la RCP pour évoquer les risques de retard de développement). Le rapport indique que : « D’après les études du Registre dédié aux malformations congénitales du Rhône-Alpes  (REMERA), après extrapolation pour la France entière, environ 450 enfants nés entre 2006 et 2014 seraient concernés par des malformations  congénitales. Une mesure plus précise de l’impact des prescriptions de valproate sur la descendance des femmes exposées devrait être  disponible en mai 2016 ».

Déjà les associations de victimes affirment que le nombre pourrait être bien plus élevé car ce registre ne tient pas compte des troubles neurodéveloppementaux et de l’autisme (le risque d’autisme serait cinq à six fois plus élevé que dans la population générale) et que les cas pourraient avoir été plus fréquents encore avant 2006. D’une manière générale, les données manquent, par exemple sur « les liens entre les effets du valproate et le patrimoine génétique des parents » et sur les conséquences pour la descendance des personnes exposées in utero à cette spécialité. Autre zone d’ombre : la fréquence des prescriptions du valporate en psychiatrie « parfois hors de l’indication retenue par l’autorisation de mise sur le marché. Le caractère indispensable du valproate de sodium pour certaines patientes qui ne fait pas débat en matière d’épilepsie, gagnerait à être réexaminé en psychiatrie » relèvent les inspecteurs de l’IGAS.

Le scandale peut-il se prolonger ?

Enfin, se pose la question de la protection actuelle des femmes en âge de procréer. Depuis le printemps 2015, la prescription de spécialités à base de valproate de sodium est théoriquement interdite pour ces dernières. En cas d’absence d’alternative thérapeutique possible, la primo prescription « est restreinte à des médecins spécialistes, la délivrance à la présentation d’un formulaire de consentement signée par la patiente, l’informant des risques liés à la grossesse lors de la prise de ce médicament ». L’IGAS semble juger cependant que ces gardes fous pourraient ne pas être toujours suffisants : « l’insuffisance de spécialistes dans certains départements et le manque d’information des patients et des prescripteurs sont susceptibles de limiter l’efficacité de ces mesures » relèvent les inspecteurs.

Des inquiétudes qui font écho à la récente constatation faite dans certaines pharmacies que ces dernières n’exigeaient pas toujours la présentation du formulaire de consentement pourtant indispensable pour toute délivrance de valproate de sodium à une femme en âge de procréer.

Rapport de l’IGAS

Aurélie Haroche 

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