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Le mercantilisme menace les communautés de patients (Le Monde Science et Techno | 18.06.2014)

Des communautés de personnes malades existent sur le Web depuis la fin des années 1990. Elles ont été en général créées et portées par des patients ou des associations de patients, sur des forums et des réseaux sociaux, sur des modèles de gratuité, avec un objectif unique : permettre à celles et ceux qui ont en commun une pathologie ou un traitement d’entrer en contact, de s’informer, de s’entraider. La richesse et la qualité des échanges, la rupture de l’isolement, l’apparition de nouvelles formes de solidarité, d’une intelligence collective permettant de garantir une réelle qualité de l’information, mais aussi l’effectivité des relations d’entraide qui s’y nouent expliquent en grande partie le succès et la pérennité de ces plates-formes.

DÉMOCRATIE SANITAIRE

Elles sont également devenues peu à peu des lieux d’expression, de mobilisation, voire de plaidoyer, dont la dimension est désormais politique. Les savoirs expérientiels qui s’y retrouvent participent à l’émergence d’un pouvoir du patient : la voix des malades ainsi portée peut, et doit, être entendue. Les communautés de patients sur le Web deviennent des outils précieux de démocratie sanitaire. Le système de santé a également évolué, au moins en théorie, avec la promotion des droits des malades (loi du 4 mars 2002), une meilleure prise en compte de leur ressenti, de leurs aspirations et de la réalité de leur vécu. C’est également vrai pour l’industrie pharmaceutique, qui est passée d’un modèle où le client unique était le prescripteur à un autre où les stratégies marketing sont désormais plus largement orientées vers les réalités des besoins des patients.

Dans ce contexte, la connaissance du vécu des maladies et des traitements devient essentielle. Ce qui était perçu au départ comme anecdotique est désormais une véritable richesse… Et suscite les convoitises. Ainsi voit-on apparaître depuis deux à trois ans des communautés de patients à but commercial, créées par des start-up. Elles mettent en avant l’aide et les services qu’elles apportent aux personnes malades, se présentent comme totalement innovantes et originales et revendiquent des milliers, des centaines de milliers, voire des millions d’inscrits. Patientsworld, par exemple, affiche publiquement pas moins de 1,2 million de membres. Comment vérifier cette affirmation ? Certaines de ces plates-formes parviennent même à apparaître suffisamment légitimes pour que leurs dirigeants soient désormais invités à porter la parole des patients dans des colloques ou conférences, en lieu et place des principaux intéressés ou des associations qui les représentent.

OBJECTIFS RÉELS

Pourtant, on peut se poser la question de leurs objectifs réels… Leurs modèles économiques reposent largement sur la revente des données des patients qu’elles recueillent à l’industrie pharmaceutique, à des assurances ou à des mutuelles. Ces données peuvent provenir des informations renseignées dans leur compte par les patients eux-mêmes, par exemple au sujet de leur traitement, des effets secondaires des médicaments, de leur niveau de bienêtre, ou encore des échanges qu’ils ont entre eux sur les plates-formes et enfin d’enquêtes ou de sondages mis en oeuvre spécifiquement sur telle ou telle thématique. La finalité n’est pas seulement d’oeuvrer pour le bien des patients, l’amélioration du système de santé ou encore l’intérêt général, mais aussi de répondre à une demande d’ordre commercial. Carenity n’hésite pas à adresser à ses prospects de l’industrie pharmaceutique des mails promotionnels intitulés « Le verbatim patient, la nouvelle arme de votre force de vente ». Le patient devient donc une marchandise à part entière, qu’il convient de recruter, puis de fidéliser, afin qu’il consente à produire bénévolement des connaissances et des données qui seront vendues à des tiers sans l’accord express de leur émetteur. Et ce concept soulève de nombreuses questions de nature éthique et juridique. On peut s’interroger par exemple sur la réalité du consentement des personnes qui s’inscrivent sur ces plates-formes. Les conditions générales sont rédigées dans un langage juridique peu explicite, simples à valider en un clic, mais laborieuses à parcourir.

ARGUMENTS MARKETING

Quelle conscience ont les inscrits de l’usage qui sera fait de leurs contributions ? Savent-ils comment, à qui, et dans quels buts elles seront revendues ? Finalement, les notions d’entraide, d’échange et de soutien ne sont que des arguments marketing pour attirer les patients et à les inciter à contribuer. Les « partenariats » affichés avec certaines associations de patients sont destinés prioritairement à rassurer les futurs inscrits afin d’élargir le « cheptel » de malades. Ces associations sont en effet des cibles privilégiées, à coups d’arguments séduisants et de promesses de renforcement de leur présence sur le Web, qui reste pour certaines un objectif difficile à atteindre, faute de moyens et de compétences. La contrepartie en est le détournement de leur légitimité et l’accès à leurs adhérents à des fins mercantiles.

On est aussi en droit de questionner les chiffres affichés en termes d’inscrits par pathologie. Les échanges observables semblent épars. Seuls les « clients » de ces structures, ceux qui font appel à leurs services, peuvent avoir une idée de leur réalité. Mais les engagements sont-ils toujours bien tenus ? Et quand ils le sont, quelles garanties ont les commanditaires que les données recueillies ou les réponses aux enquêtes proviennent toutes de « vrais » malades ?

Enfin, quid de la sécurité des données de santé à caractère personnel livrées sur ces sites ? Comment avoir l’assurance que ces informations hautement sensibles sont hébergées par des serveurs sécurisés et agréés tel que prévus par la réglementation (décret du 4 janvier 2006) ?

On ne peut que se féliciter de l’importance prise par l’expression des patients et du souci qu’ont les différents acteurs du monde de la santé de mieux les connaître et de mieux prendre en compte la réalité de leurs besoins. Loin de nous l’idée de diaboliser ce souhait légitime et le plus souvent utile. Il nous semble cependant qu’il est temps que chacun soit alerté de l’exploitation qui peut être faite de la vulnérabilité des personnes malades. A nous d’imaginer et de promouvoir, ensemble, de nouvelles interfaces, légitimes et transparentes, pour que cette parole du patient puisse être exprimée, partagée et enfin entendue, dans le respect de ses émetteurs et en toute connaissance de cause.

Les e-patientes :

Béate Bartès, fondatrice et présidente de Vivre sans thyroïde – www.forum- (http://www.forumthyroide.

net/) thyroide.net (http://www.forum-thyroide.net/)

Yvanie Caillé, fondatrice et directrice générale de Renaloo (http://www.renaloo.com/)

Catherine Cerisey, auteure du blog « Après mon cancer du

sein » (http://catherinecerisey.wordpress.com/)

Muriel Londres, bénévole de Vivre sans thyroïde et secrétaire générale de Coopération

patients (http://cooppatients.wordpress.com/)

Giovanna Marsico, directrice de la plate-forme Cancer contribution (http://www.cancercontribution.fr/)

Source : LE MONDE Science et Techno | 18.06.2014

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