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Agnès Buzyn : « la psychiatrie ne sera plus le parent pauvre » (Dr Alexandre Haroche, Journal International de Médecine)

Paris, le lundi 29 janvier 2018 – Le ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn s’est exprimé vendredi 26 janvier lors du congrès de l’Encéphale devant les professionnels de la santé mentale. Elle a montré qu’elle identifiait avec une certaine justesse les enjeux actuels de la psychiatrie dans notre pays. Mais elle a aussi rappelé la succession des rapports qui se sont accumulés ces dernières années sur le bureau des ministres de la santé, concluant souvent aux mêmes recommandations, mais aboutissant à la même absence d’effet. Avec un certain humour qui cache la tristesse des faits, elle a cité la proposition 30bis d’un rapport de 2013 de l’assemblée nationale, préconisant de « diminuer le nombre de rapports et de donner la priorité à la mise en œuvre de recommandations récurrentes » (1)… Ce qui n’a pas empêché la rédaction de nouveaux rapports dans les années qui ont suivi.

« Il n’y a pas de fous, il n’y a que des personnes malades » (H.Baruk)

Le ministre a donné les grandes directions des réformes qu’elle comptait mener dans les 5 prochaines années (… et nous serions tenter de déjà dire 4), sans oublier quelques propositions concrètes dans le domaine de la formation, de la recherche, et plus généralement de l’organisation des soins. En rappelant cette citation d’Henri Baruk, Agnès Buzyn insiste pour faire de la « déstigmatisation » des troubles mentaux un des principaux objectifs de sa politique en matière de santé mentale.

Elle a également insisté sur la nécessité d’effacer autant que faire se peut la séparation artificielle entre médecine « somatique » et « psychiatrique », en s’appuyant cette fois sur une citation d’Aristote : « l’âme est l’entéléchie du corps ». Proposition très intéressante, Agnès Buzyn voudrait développer des consultations somatiques pour les personnes atteintes de handicap mental, avec la volonté de prendre en considération le problème rarement abordé de la perte de chance des personnes atteintes de troubles mentaux, que les psychiatres et professionnels de la santé mentale connaissent bien.

Un stage de psychiatrie pour tous les médecins généralistes

En matière de formation, elle propose que « 100 % des médecins généralistes » bénéficient d’un stage de psychiatrie ou de santé mentale durant leur formation, renforçant ainsi leur compétence en tant que professionnels de première ligne dans la détection et le traitement des troubles mentaux. Dans cette optique, il devrait être instauré par l’assurance maladie des consultations complexes en psychiatrie pour les médecins généralistes. Toujours sur le plan de la formation, sans réinstaurer les anciens « infirmiers psychiatriques », Agnès Buzyn souhaite que les infirmiers en pratique avancée puissent se spécialiser en psychiatrie, avec le lancement de ce dispositif dès la fin de l’année 2018.

Agnès Buzyn a également tenu à souligner la nécessité de développer l’offre de soins en ville. Si les propositions en la matière restent floues, on peut noter qu’elles contrastent avec l’esprit du précédent ministère : « je demanderai au directeur général de la caisse d’assurance maladie de porter une attention particulière à la tarification des consultations en psychiatrie et en pédopsychiatrie [et je demanderai que] les pédopsychiatres ambulatoires aient le même traitement que les médecins généralistes eu égard à la consultation des enfants ». Agnès Buzyn semble d’ailleurs plus généralement vouloir se porter au chevet de la pédopsychiatrie avec le souhait de créer ou maintenir au moins un poste de PU par faculté. Deux postes ont déjà été créés et 10 postes de chef de clinique devraient également être ouverts.

Une priorité du PHRC 2018

La question de la recherche n’est pas oubliée avec la volonté annoncée de faire de la France un des premiers pays en matière de recherche dans le champ de la psychiatrie, ce qui est aujourd’hui loin d’être le cas. Le constat du ministre est dur mais malheureusement à peine exagéré, ajoutant que « les connaissances neuroscientifiques n’ont jamais permis un nouveau traitement psychiatrique sur la base d’hypothèses physiopathologiques ». La psychiatrie sera ainsi une thématique prioritaire du plan hospitalier de recherche clinique (PHRC) en 2018. De plus, le ministre « réfléchit à la mise en place d’une coordination nationale de la recherche en psychiatrie » afin d’améliorer la synergie des travaux.

Le ministre de la santé a également abordé des questions cliniques, l’une – peut-être – d’actualité : le psychotraumatisme, et l’autre, intemporelle : le suicide. La question du psychotraumatisme devrait être l’objet d’un traitement particulier, avec la création annoncée par le président de la République de 10 dispositifs dédiés à la prise en charge des troubles qui y sont associés en 2018. De plus, il est envisagé dans le cadre de la réforme du troisième cycle la création d’une formation transversale autour du psychotraumatisme, accessible aux internes de toutes les spécialités.

Le dispositif Vigilans étendu à toute la France

Concernant le suicide, Agnès Buzyn propose une mesure très concrète et très en lien avec les travaux récents menés en France, et notamment dans le Nord. Elle veut en effet développer le dispositif de contact des patients qui sortent d’hospitalisation pour la prise en charge d’une tentative de suicide. Le dispositif Vigilans devraient donc être généralisé et développer sur tout le territoire au cours des deux prochaines années. Autre question clinique, Agnès Buzyn a exprimé sa volonté qu’une réflexion soit menée autour des pratiques afin de diminuer le recours aux soins sans consentement, à l’isolement et à la contention.

Ce plan pour la psychiatrie est assorti de mesures destinées à promouvoir l’amélioration constante des soins, avec dans les prochaines années de nouvelles recommandations de bonnes pratiques par la HAS, ainsi que le développement d’indicateurs de la qualité des soins en psychiatrie (notamment autour de la médication, de la précocité des diagnostics, du délai de prise en charge, et des taux de suicide). Afin de mener à bien la réalisation de ces réformes, Agnès Buzyn devrait présider un comité stratégique de psychiatrie et de santé mentale, qui se réunirait une fois par an et qui ferait le point sur l’ensemble des actions engagées.

« La psychiatrie ne sera plus le parent pauvre »

Mais la proposition qui devrait avoir le plus d’impact sur la vie des professionnels de santé est la décision de modifier le mode de financement des secteurs en psychiatrie. Les dotations actuelles reposent en effet en grande partie sur des considérations historiques, qui ne sont plus en rapport avec les besoins de la population, ce qui entraine des inégalités criantes dans les moyens alloués aux différents secteurs. Les indicateurs précédemment cités pourraient désormais entrer dans le calcul des allocations, ce qui constitue une véritable révolution culturelle dans la profession, recommandée par certains depuis de nombreuses années. Si cette proposition devait être appliquée, on l’espère avec justice et efficacité, elle conduirait à un véritable remaniement de l’offre de soins (et ferait au passage quelques malheureux…).

Ces déclarations de principes et ces propositions concrètes devraient être bien accueillies par la profession, et semblent en tout cas témoigner, enfin, d’une volonté politique forte d’améliorer la situation de la psychiatrie et surtout la santé mentale des Français.

(1) ROBILIARD D. Rapport d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie. Assemblée nationale; 2013. 133 p.

Dr Alexandre Haroche

Référence

Conférence de la ministre de la santé Agnès Buzyn. 16e congrès de l’encéphale. 24 au 26 janvier 2018, Paris.

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