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Un diurétique dans l’autisme : où en est-on ? (Dr Alexandre Haroche, Journal International de Médecine)

Depuis quelques années, le chercheur en neurobiologie Yehezkel Ben-Ari ainsi que le pédopsychiatre Eric Lemonnier proposent une nouvelle approche dans le champ du traitement de l’autisme. Elle sonne d’abord comme une absurdité, puis comme un espoir. Il s’agit du traitement (et peut-être de la prévention) des troubles du spectre autistique à l’aide d’un diurétique. En l’occurrence un diurétique relativement peu utilisé par les cardiologues : le bumétanide.

Le Pr Ben-Ari est venu présenter lors du 16e congrès de l’encéphale d’une part le cheminement conceptuel conduisant à l’utilisation d’un diurétique dans l’autisme, et d’autre part l’état d’avancement de ce projet de recherche. La thèse principale du Pr Ben-Ari est que le développement cérébral ne repose pas sur un programme automatique immuable, mais qu’il faut en permanence valider et contrôler ce qui se construit, via une activité électrique.

Une idée : et si c’était un problème de chlore ?

Lors d’une pathologie du développement cérébral, des neurones immatures vont perdurer et rester non fonctionnels. Ces neurones mal placés ou mal connectés peuvent générer une activité aberrante qui perturbe l’activité normale du cerveau, et peuvent donc en altérer le développement. Ces « traces » du développement anormal conduisent au concept de neuro-archéologie. En thérapeutique, l’idée serait de pouvoir inhiber sélectivement l’activité des neurones immatures.

Il semble qu’au cours de l’autisme, l’action sur les canaux-récepteurs GABA par les benzodiazépines n’entraine pas un effet inhibiteur mais excitateur, ce qui (en se basant également sur des modèles animaux) conduit à penser que la concentration intracellulaire de chlore est augmentée dans certains neurones au cours de l’autisme. Comment faire baisser la concentration de chlore ? En agissant sur le co-transporteur NKCC1, d’où l’utilisation du bumétanide.

La concentration intracellulaire neuronale élevée est un phénomène normal durant le développement cérébral avant l’accouchement, et qui disparait à la naissance sous l’effet de l’ocytocine. Dans des modèles murins d’autisme (X fragile, et valproate in utero), l’administration à la femelle gestante de bumétanide avant la mise bas permet de diminuer nettement les symptômes  » autistiques  » des souris y compris à l’âge adulte (voir : Comment un diurétique pourrait-il être efficace dans l’autisme ?)

Déjà une étude pilote et deux essais de phase II positifs

L’ensemble repose donc sur l’idée, de plus en plus validée scientifiquement, selon laquelle l’autisme est avant tout une pathologie neuro-développementale. Où en est l’application de ce modèle chez l’humain ? Une première étude pilote (1), puis un essai contrôlé randomisé sur 60 enfants publiés en 2012 (2) ont montré des résultats encourageants, alors largement relayés par la presse, y compris par le JIM. Ces premiers résultats n’ont cependant pas manqué de soulever les critiques, presque autant qu’ils suscitaient l’espoir. Par la suite, dans une étude en ouvert utilisant l’IRM fonctionnelle, on a pu montrer sur un petit nombre de patients que le bumétanide durant 10 mois pourrait améliorer la reconnaissance émotionnelle (3). Enfin, un essai de phase IIb, publié en 2017 et portant sur 88 patients a confirmé les résultats obtenus en 2012 (4).

Il reste donc maintenant au Pr Ben-Ari et son équipe la tâche de confirmer ces résultats lors d’un essai de phase III. Pour cela, il a dû développer l’entreprise Neurochlore dédiée à la réalisation de projets de recherche fondamentale et clinique autour du chlore dans l’autisme. Quatre cent enfants devraient être inclus dans l’étude. Il espère une commercialisation du bumétanide dans cette indication dès 2021.

Notons que, dans les essais déjà réalisés, ce traitement est dépourvu d’effets indésirables graves. Il a simplement été noté des cas d’hypokaliémie simplement corrigés par supplémentation potassique. Bien entendu, comme le souligne le Pr Ben-Ari et la vidéo de patient « avant / après » bumétanide qu’il a pu diffuser lors du congrès, il ne s’agirait pas là d’un traitement « miracle », mais d’un traitement adjuvant apportant une aide, on l’espère, précieuse à la prise en charge globale des patients.

(1) Lemonnier E, Ben-Ari Y. The diuretic bumetanide decreases autistic behaviour in five infants treated during 3 months with no side effects. Acta Paediatr Oslo Nor 1992. déc 2010;99(12):1885-8.
(2) Lemonnier E, Degrez C, Phelep M, Tyzio R, Josse F, Grandgeorge M, et al. A randomised controlled trial of bumetanide in the treatment of autism in children. Transl Psychiatry. déc 2012;2(12):e202.
(3) Hadjikhani N, Zürcher NR, Rogier O, Ruest T, Hippolyte L, Ben-Ari Y, et al. Improving emotional face perception in autism with diuretic bumetanide: A proof-of-concept behavioral and functional brain imaging pilot study. Autism. 1 févr 2015;19(2):149‑57.
(4) Lemonnier E, Villeneuve N, Sonie S, Serret S, Rosier A, Roue M, et al. Effects of bumetanide on neurobehavioral function in children and adolescents with autism spectrum disorders. Transl Psychiatry. mars 2017;7(3):e1056.

Dr Alexandre Haroche

Référence
Y. Ben Ari. Cibler les canaux chlore dans l’autisme et les maladies psychiatriques. 16e congrès de l’Encéphale. 24 au 26 janvier 2018, Paris.

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