L’autisme, une sensorialité atypique : du laboratoire à la vie quotidienne
Résumé par Michel FAVRE de l’intervention de Marie Piéron lors de l’université d’automne
de l’ARAPI en octobre 2022
Mots clés : Vision, pupille, rétine, cortex visuel primaire, recherche participative
Marie Piéron est ingénieur de recherche au CNRS. Son travail porte sur l’étude de la perception visuelle dans les troubles de l’autisme et du neurodéveloppement au moyen de tests comportementaux, de mesures oculométriques ou électrophysiologiques. Elle est membre de l’équipe interaction glie-glie du Centre de neuroscience intégrative et de la
cognition (UMR 8002 INCC) pour travailler sur la mémoire visuelle dans les troubles du spectre de l’autisme (TSA). Depuis 10 ans elle s’investit pour la diffusion de la culture scientifique et le développement de la recherche participative. Un exemple de recherche participative entre Marie et la ville d’Ivry sur Seine a été présenté lors de son intervention à l’Université d’automne de l’ARAPI en octobre dernier
Marie Piéron est coordinatrice avec Cendra AGULHON du club « autisme, autres TND et vision » au sein de l’université Paris Cité. Quant à Cendra, elle est directrice adjointe du Centre de neuro-déficience intégrative de la perception visuelle et travaille sur des modèles animaux.
En préambule à l’exposé de Marie, il faut noter qu’avant d’apprendre à lire, écrire et compter, il est nécessaire de donner une signification à ce que nous voyons. Nous devons être capable de planifier nos mouvements et d’organiser notre comportement. Cette capacité dépend de l’efficacité avec laquelle notre cerveau organise les messages transmis par la vision. Ainsi notre cerveau filtre, organise et intègre le signal reçu par l’œil. La vision joue donc un rôle essentiel tant pour le développement de l’enfant que tout au long de la vie pour explorer, communiquer et interagir avec l’environnement. C’est à toute cette problématique que Marie Piéron a consacré son exposé « l’autisme, une sensorialité atypique : du laboratoire à la vie quotidienne ».
Dans son introduction, Marie a défini la perception visuelle comme l’interprétation par notre système sensoriel des informations reçues. Elle a rappelé que 80% des informations de l’environnement extérieur sont traités par le système visuel. Le traitement de cette information débute au niveau de la rétine et implique 50% des aires du cerveau. Or, il est bien connu que l’autisme se caractérise par des particularités sensorielles spécifiques qui vont conditionner le comportement et le quotidien de la personne.
Au niveau ophtalmologique, les problèmes de vision touchent 20 à 70% des personnes avec un TSA. Ces problèmes concernent entre autres la myopie, l’hypermétropie, l’astigmatie, le strabisme. Ces troubles de la vision peuvent se répercuter sur les troubles cognitifs. Il est mentionné que 30 à 90% des personnes avec un déficit visuel à la naissance présentent des symptômes autistiques. Il est bien connu que dans le développement des personnes autistes on peut rencontrer des phénomènes d’évitement de contact oculaire ainsi qu’une moindre acuité et sensibilité aux contrastes pour la vision périphérique.
Après cette brève introduction, Marie a axé son exposé sur la pupille qui constitue la porte d’entrée de la lumière dans l’œil. Il est rappelé que des variations du diamètre de la pupille peuvent être observées en fonction de la lumière reçue ainsi que de la charge cognitive à effectuer. Cette charge permet d’expliquer les échecs ou les réussites des personnes en activité d’apprentissage ou en activité de résolution de problèmes. En fonction de cette charge, la pupille se dilate. Dans le cas des TSA, la pupille réagit plus lentement à la lumière et donc met plus de temps à se contracter. De plus, elle sera plus dilatée lors de la réception de la lumière.
En conséquence, plus de lumière pénètre dans l’œil des sujets autistes. En outre, la pupille sera plus dilatée dans les tâches impliquant l’attention visuelle.
Marie a poursuivi son exposé en parlant de la rétine qui est chargée de convertir la lumière en signal neuronal qui sera à son tour transmis vers le cortex cérébral. Il faut noter que l’on retrouve les mêmes neuro transmetteurs (GABA, Glutamate, excitateurs etc.) au niveau de la rétine et du cerveau. Ces neuro transmetteurs sont des substances qui vont assurer le passage de l’information entre les cellules nerveuses. Sachant que dans les TSA on observe une moindre modulation de la pupille, cette atypie se traduit par des défauts structurels des marqueurs des photorécepteurs et des cellules bipolaires. Dans le système visuel, les neurones encore appelés cellules bipolaires reçoivent les signaux des photorécepteurs émis par la lumière dans la rétine.
Des modifications de l’activité électrique en réponse à un flash lumineux ont été observées ainsi qu’une altération de l’expression de marqueurs synaptiques, glutamatergiques et GABAergiques. A partir de la rétine, les images sont projetées sous forme d’informations jusqu’au cerveau où elles seront décodées.
Outre les altérations au niveau de la pupille, on peut noter des altérations du trajet de l’information visuelle de la rétine jusqu’au cortex visuel primaire correspondant à l’aire V1 qui est localisé au niveau occipital du cerveau. Cette région cérébrale est impliquée dans le traitement des informations visuelles élémentaires comme l’orientation, la fréquence spatiale et la luminosité. Il convient de remarquer que très souvent dans le quotidien les individus TSA sont confrontés à des problèmes d’orientation et de posture dans l’espace.
Au niveau du cortex visuel primaire, il a été mis en évidence une hyperactivation lors des tâches visuelles et une moindre connectivité entre le cortex et des aires jouant un rôle dans le traitement cognitif et social. Le cortex primaire est également impliqué dans la plasticité cérébrale pour l’intégration et l’interprétation de nouvelles informations visuelles. Il faut noter que des atypies dans la plasticité synaptique évoluent avec l’âge et les particularités sensorielles des individus avec autisme.
En dehors du cortex visuel primaire, deux voies peuvent être identifiées. La première dite « voie ventrale » est caractéristique de l’objet c’est-à-dire sa couleur, sa taille, sa forme et sa profondeur. La deuxième dite « voie dorsale » joue un rôle dans le mouvement. Dans l’autisme la perception des mouvements est impliquée dans la vie courante, par exemple lors des déplacements, et provoque des difficultés à réagir dans un environnement qui bouge. Dans le cas de mouvements biologiques, en l’occurrence les mouvements du corps, l’individu TSA aura plus de difficulté qu’une personne neurotypique à identifier ces mouvements avec une moindre spécificité neuronale. Il en est de même pour les mouvements et traits du visage et la perception des émotions. Ceci se traduit souvent par une difficulté à interagir et communiquer avec autrui.
Au niveau de la perception des visages, l’individu TSA aura des difficultés à les reconnaitre et les mémoriser. Cette particularité est observable dès les premiers mois de la vie des nouveaux nés et constitue un premier signe d’alerte pour les parents. A ce défaut de reconnaissance correspond une moindre activation des zones cérébrales impliquées dans le traitement des visages ainsi qu’une diminution de l’exploration des traits spécifiques de la face. Ces phénomènes sont connus depuis quelques années et peuvent être étudiés par « eye tracking » ou oculométrie. L’oculométrie regroupe un ensemble de techniques permettant d’enregistrer et analyser les mouvements de l’œil pour calculer la direction du regard. Il est mentionné que lors de l’interaction entre l’homme et les animaux, il a été observé que la présence d’un chien au domicile de la personne autiste pouvait faciliter la mise en place d’une stratégie d’exploration visuelle plus performante des traits du visage.
Au niveau du système oculomoteur, six muscles (droit supérieur, droit inférieur, droit médian, droit latéral, oblique supérieur et oblique inférieur) sont concernés et permettent à l’œil de bouger dans son orbite. Le système oculomoteur permet d’explorer visuellement les mouvements de l’œil appelés saccade. La saccade oculaire est produite par la décharge des motoneurones qui activent les fibres motrices des muscles des yeux. Les neurones « pauseurs » inhibent en permanence les neurones excitateurs phasiques. Le générateur de saccades peut être activé par le cerveau mais ne peut produire un mouvement que si l’inhibition est levée. Les neurones « pauseurs » constituent donc un mécanisme très fin de contrôle de la durée de la saccade. Il est possible de trouver une dysmétrie dans l’analyse du mouvement de l’œil chez les personnes avec autisme et ces saccades sont perturbées chez ces individus lors de la poursuite visuelle d’objets en mouvement. Par exemple, lors du suivi d’un ballon en mouvement, la personne autiste peut rencontrer des difficultés de coordination visuo-motrice.
Un autre exemple est fourni par les difficultés rencontrées pour l’utilisation d’un escalator. En outre, il est aussi possible de noter une moindre flexibilité cognitive entrainant une difficulté à adapter son trajet et son comportement dans la vie quotidienne lors d’un imprévu. Au final, on peut retrouver dans l’autisme un déficit de l’inhibition saccadique avec une gêne dans la poursuite visuelle des mouvements.
En résumé, toutes ces particularités visuelles rencontrées dans le TSA pourraient traduire un déséquilibre de la transmission synaptique excitatrice ou inhibitrice des circuits neuronaux. Il convient donc de poursuivre ces travaux destinés à mieux comprendre les difficultés visuelles spécifiques de l’autisme.
Un autre point soulevé par Marie est l’hétérogénéité de la population des personnes autistes.
De même, des variations visuelles peuvent être détectées chez ces sujets durant la journée ou au cours de la vie. Compte tenu de cette hétérogénéité, il est ainsi difficile de tirer des conclusions définitives sur la définition et la compréhension des atypies visuelles rencontrées dans les TSA. Néanmoins, il faut souligner que certaines fonctions sont préservées chez ces patients et sont parfois même plus performantes que chez les individus neurotypiques. Il convient donc d’évaluer les forces et les faiblesses de la personne et les forces et capacités individuelles sur lesquelles s’appuyer pour l’aide dans la vie quotidienne.
Au cours de l’exposé il a été mentionné que seules 6% des travaux publiés concernent des individus avec une déficience intellectuelle. De plus, très peu d’études ont été consacrées aux femmes avec un TSA qui se caractérisent en général par une augmentation de sensibilité sensorielle. Il est clair que la tendance actuelle dans l’étude de l’autisme accorde beaucoup d’intérêt dans les différences existant entre les femmes et les hommes. En outre, Marie a souligné le manque criant d’études portant sur les adultes vieillissants (au-delà de 55 ans). En effet, la fin de vie constitue une étape clé dans l’évolution des personnes TSA ou avec un trouble du neurodéveloppement et de plus en plus d’individus TSA sont confrontées aux problèmes de la vieillesse du fait de l’allongement de la vie. Malheureusement les adultes vieillissants sont très peu pris en compte.
Enfin, cet exposé a mis l’accent sur les différences qui peuvent apparaître entre les travaux effectués en laboratoire ou dans la vie courante, notamment dans la ville dans un environnement multi sensoriel difficile à reproduire au laboratoire. Une possibilité pour aborder efficacement ces deux types de travaux serait d’initier des recherches participatives en particulier avec les collectivités territoriales. A titre d’exemple, ce type d’expérience est actuellement mené par le laboratoire de Marie avec la ville d’Ivry en région parisienne. Ce type d’expérience et cette initiative devraient faciliter la perception visuelle des sujets avec TSA ou TND et favoriser des études portant sur l’architecture et l’urbanisme, un bon moyen d’inclure ces personnes dans la société.