Usage de la mélatonine, on remet les pendules à l’heure (Dr Pierre Margent, Journal International de Médecine)
La mélatonine, hormone sécrétée par l’épiphyse, participe à la synchronisation du rythme circadien de l’organisme avec celui de la lumière. Le taux de mélatonine augmente lentement durant les heures précédant le coucher, préparant le corps au repos et aux activités physiologiques nocturnes.
Des études ont confirmé que la mélatonine améliorait efficacement le sommeil chez les travailleurs postés et atténuait un possible décalage horaire. Elle est aussi bénéfique dans le trouble du sommeil lié à des mouvements oculaires rapides.
Les enfants peuvent également en bénéficier dans des cas précis comme l’autisme, après échec des thérapies comportementales et des autres médicaments agissant sur le sommeil. Une revue récente a, en outre, démontré que la mélatonine réduisait le délai d’endormissement dans le syndrome de déficit d’attention/hyperactivité.
Il faut toutefois préciser que les bénéfices observés sont en règle modestes dans ces situations.
Une consommation croissante
Ces dernières années, le nombre d’enfants consommant des suppléments de mélatonine en vente libre, afin d’améliorer la qualité du sommeil, s’est considérablement accru. Dans une étude de surveillance portant sur 17 321 adultes ayant en charge des enfants et adolescents de 4 à 17 ans, le recours à la mélatonine a été multiplié par 7, passant à 0,7 % en 2012 vs 0,1 % en 2007.
De la même façon, chez les adultes la consommation a été multipliée par 5, passant de 0,4 % en 1999-2000 à 2,1 % en 2017-2018. De nos jours, environ un tiers des adultes américains, les plus âgés principalement, est concerné par l’insomnie.
Une proportion identique d’enfants et d’adolescents considèrent qu’ils dorment trop peu. L’augmentation des troubles du sommeil peut être liée à un mode de vie déséquilibré, favorisant l’anxiété mais aussi à une utilisation quasi permanente des médias sociaux, via Internet, qui expose à la lumière bleue en période nocturne, inhibant la production de mélatonine endogène.
Ce recours accru à la mélatonine du commerce a également été amplifiée par la pandémie de Covid-19. Par ailleurs, des enquêtes révèlent que les adultes prennent des doses souvent supérieures à 5 mg, entrainant un pic dépassant la concentration physiologique nocturne de mélatonine.
Ces posologies élevées ne sont pas sans danger.
Des risques potentiels
Depuis plusieurs années, des alertes ont été lancées visant les médicaments ciblant le sommeil tels le zolpidem, l’eszopiclone ou le zalepla. La mélatonine a pu alors sembler mieux tolérée car d’origine naturelle et plus accessible.
En France, la mélatonine est vendue comme un complément alimentaire (en pharmacie ou en grande et moyenne surface) lorsqu’un comprimé contient moins de 2 mg de substance active. Au-delà, c’est un médicament délivré sur prescription (Circadin®, par exemple).
Les doses indiquées dans le compléments alimentaires sont parfois approximatives et il est possible que des lots de mélatonine contiennent de la sérotonine, son métabolite.
La mélatonine est en règle générale bien tolérée mais des effets secondaires dose dépendants sont possibles : céphalées, vertiges, somnolence diurne. Des conséquences plus graves sont aussi décrites : intolérance au glucose, augmentation de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque, notamment chez les patients sous anti hypertenseurs. Enfin, les conséquences à long terme, dont les effets sur la puberté, restent inconnus.
Dans le domaine pédiatrique, entre 2012 et 2021, les US Poison Control Centers ont rapporté 260 435 appels téléphoniques pour ingestion accidentelle de mélatonine, suivis de 4097 hospitalisations, 287 admissions en soins intensifs, 5 mises sous ventilation artificielle et 2 décès.
Les Centers for Disease Control recommandent aux cliniciens de réduire le recours à la mélatonine, en la considérant comme un vrai médicament et non comme une vitamine.
Le comportement en première intention
En cas de trouble du sommeil, l’American Academy of Sleep Medecine’s préconise des techniques comportementales en première ligne thérapeutique, tant chez l’adulte que chez l’enfant. Il importe également de rechercher tout motif sous-jacent pouvant perturber l’endormissement, comme une rupture du rythme circadien, un syndrome des jambes sans repos ou une mise au lit trop avancée dans la soirée.
Les médicaments ou suppléments à base de mélatonine ne sont indiqués en pédiatrie que dans des indications particulières (autisme, anxiété ou dépression sévère).
A ce jour, il serait utile de développer des recommandations en pratique clinique et de souligner les lignes directrices auprès des praticiens de soins primaires, en vue de préciser les règles de bon usage de la mélatonine. Celle-ci doit être considérée comme une aide provisoire, dans des situations particulières, et non constituer une thérapeutique de fond.
Dr Pierre Margent
RÉFÉRENCE
Kuehn BM. Climbing Melatonin Use for Insomnia Raises Safety Concerns. JAMA. 2022 Aug 16;328(7):605-607. doi: 10.1001/jama.2022.11506. PMID: 35895042