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Cinquante ans de lutte contre les pseudo-sciences : le combat de l’AFIS plus que jamais d’actualité ! (Aurélie Haroche, Journal International de Médecine)

Paris, le mardi 20 novembre 2018 – Il n’est pas impossible que la trop célèbre observation de René Descartes sur le caractère si bien partagé du bon sens (soit la raison) dans le monde ne soit pas parfaitement exacte. Les exemples de dérives de la rationalité sont en effet multiples et les scientifiques ont dû à toutes les époques mener un combat pour faire admettre la vérité des faits. Il s’agit d’une lourde tâche pour ces scientifiques qui hier comme aujourd’hui ne sont guère armés pour mener cette bataille. Une bataille qui est plus que jamais d’actualité. Une contamination générale Il existe cependant des défenseurs de la science, qui ont fait de la rationalité leur principal cheval de bataille. Ainsi, l’Association française de l’information scientifique (AFIS) vient-elle de fêter son cinquantième anniversaire au Palais de la Découverte de Paris (haut lieu de la science s’il en est !) et a pu constater une nouvelle fois que son rôle est toujours aussi nécessaire. Car des pseudos médecines aux allégations arbitraires sur l’empoisonnement de nos campagnes, on constate chaque jour la progression des thèses non scientifiques, qui connaissent avec les réseaux sociaux un écho sans précédent, tandis que les décideurs publics paraissent de plus en plus souvent séduits par des théories non totalement fondées. Tout faux sur le nucléaire L’AFIS a pu donner plusieurs exemples de ces discours non scientifiques qui inondent les médias aujourd’hui et trompent l’opinion publique. Les fausses représentations en ce qui concerne le réchauffement climatique et l’énergie ont ainsi été l’objet d’une première table ronde. Olivier Appert (délégué général de l’Académie des technologies et conseiller du centre énergie de l’Institut français des relations internationales), Yves Bréchet (professeur de l’Université Grenoble-Alpes et membre de l’Académie des Sciences) et François-Marie Bréon (chercheur climatologue et directeur adjoint au Laboratoire des Sciences du Climat de l’Environnement) ont pu constater qu’aujourd’hui les médias ne diffusent plus de messages contraires aux données de la science concernant l’existence du réchauffement climatique. Cependant, les représentations concernant les causes de ce réchauffement demeurent fréquemment erronées. Les trois chercheurs ont notamment signalé comment les Français sont aujourd’hui majoritairement (74 %) convaincus que l’énergie nucléaire contribue à l’effet de serre (35 % estiment qu’il s’agit d’une faible contribution et 39 % d’une large contribution). Pourtant, le nucléaire est le mode de production d’énergie dont les émissions de Co2 sont les plus faibles (devant même l’éolien) : il s’agit d’un exemple frappant de fausses représentations dont l’impact sur le débat public peut être majeur. Gare aux lanceurs d’alertes et autres faux scandales En matière de santé, la bataille médiatique, pour sa part est loin d’être gagnée ! La circulation des idées fausses et la défense des pseudos médecines sont constantes dans les médias. Catherine Hill (épidémiologiste), Jean-Loup Parier (pharmacologue, président de l’Académie de pharmacie), Anne Perrin (biologiste, ancienne président de l’AFIS) et Jocelyn Raude (chercheur en psychologie sociale) ont tenté de démêler les nœuds intriqués entre les « vrais risques et les fausses controverses » qui sont quotidiennement discutés. Catherine Hill a ainsi tenu à rappeler les nombreux indicateurs encourageants concernant notre santé : l’augmentation de l’espérance de vie, la diminution du nombre de cancer chez les hommes et la stagnation chez les femmes et les niveaux en baisse d’un grand nombre de polluants. Face à ces données qui contrastent avec une fabrique de la peur régulièrement à l’œuvre, l’épidémiologiste a invité à introduire « un peu de méthode » dans l’appréhension des informations en santé. Plusieurs questions sont à poser : « S’agit-il d’un résultat sur la souris ou sur l’homme ? Quelles sont les doses en présence ? Si l’on est en face à un résultat nouveau, il est préférable d’attendre qu’il soit reproduit avant de tirer des conclusions, en particulier si ce nouveau résultat est contredit par une ou plusieurs études précédentes » a-t-elle énuméré. Elle a encore insisté : « On n’étudie pas « les effets de l’environnement sur la santé », mais les effets des expositions à un pesticide précis, à un polluant dans l’air ou de l’eau. (…) Il est nécessaire de ne pas se fier aveuglément aux « nouveaux paradigmes » : effet cocktail et relation dose-effet improbable. Il faut enfin se méfier des lanceurs de fausses alertes, des vendeurs de solutions miracles et de la paranoïa qui oppose les industries et certains écologistes partisans ». De la même manière, Anne Perrin a invité à prendre garde aux experts autoproclamés. Mais ces derniers ne sont pas seuls en cause, les institutions peuvent également être porteuses de jugements délétères : le professeur Marc Gentilini, invité à clore cette table ronde s’est déclaré « scandalisé » par la position « politique » de la Haute autorité de Santé (HAS) sur la maladie de Lyme. Nature vs culture : un débat inutile Les discussions connaissaient la même tonalité quand ont été abordés les liens entre agriculture, santé et environnement. Yvette Datté (généticienne, directeur de recherche honoraire de l’Institut national de recherche en agronomie, membre de l’Académie d’agriculture), André Fougeroux (ingénieur agronome retraité, ancien responsable agriculture durable d’une entreprise de semences et de produits phytosanitaires, membre de l’Académie d’agriculture), Christian Lévêque (écologue, ancien président de l’Académie d’agriculture) et Jean-Sébastien Pierre (écologue, professeur émérite, ancien directeur du Laboratoire Ecobio de Rennes) ont fait le constat dans leur domaine d’une « science inaudible ». Ces experts ont regretté la défiance vis-à-vis des OGM et la prépondérance d’un discours sacralisant la « nature » (discours que certains considèrent comme faisant écho à celui des créationnistes) quand de tout temps cette dernière a été façonnée par l’homme (et notamment par l’agriculture). Ils ont encore considéré comme impropre la distinction entre agriculture biologique et agriculture non biologique, alors que la notion de pesticide de « synthèse » est particulièrement floue. D’une manière générale la tendance à croire que ce qui est naturel est nécessairement sans risque doit être dénoncée, ont-ils souligné. Des décideurs publics qui s’affranchissent de la science Dans tous ces domaines, la transmission d’une information scientifique dénaturée est dangereuse à de nombreux égards, notamment parce qu’elle influence les décideurs politiques. L’ancien président de l’Assemblée nationale, le docteur Bernard Accoyer, membre de l’Office parlementaire de l’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a ainsi fait le constat désolé d’un monde politique qui prend de plus en plus ses distances avec la démarche scientifique. A la faveur de différents scandales (sang contaminé, hormone de croissance ou encore vache folle), scandales qui mettaient bien plus certainement en cause la vénalité de certains ou l’indigence des responsables publics que la solidité de l’expertise scientifique, les décideurs politiques se sont détachés de la science. Par ailleurs, à l’instar de la population générale, ils sont influencés par une culture scientifique en déclin, la force du relativisme (marqué par l’amalgame, l’utilisation du mensonge et la disqualification des autres) et les réseaux sociaux. Cette situation a conduit à l’adoption de différentes législations sans tenir compte de la démarche scientifique. Bernard Accoyer a ainsi cité le cas des législations et des décisions politiques sur les OGM, les antennes de radio téléphonie mobile, le bisphénol A ou encore la vaccination contre l’hépatite B. Si Bernard Accoyer veut voir dans l’adoption unanime par le Parlement en 2017 d’une résolution sur la place de la science dans la République, l’absence d’application de ce texte confirme la nécessité de nouveaux outils. Un combat peut-être perdu d’avance mais indispensable Quels peuvent-ils être ? La politologue Virginie Tournay (directrice scientifique de recherche au CNRS, au centre de recherches politiques de Sciences Po) qui insiste sur le caractère essentiel (voir martial) de la reconquête de la culture scientifique veut croire en l’efficacité d’une Haute autorité de la culture scientifique, inspirée du Science Media Center britannique et qui aurait notamment pour vocation de proposer aux journalistes de se référer à une expertise scientifique reconnue… une démarche ambitieuse dont on ne sait si elle sera parfaitement reçue de la part de la presse. De son côté, Jocelyn Raude, optimiste, veut croire que la pratique du décryptage des fausses informations, de plus en plus fréquente, est une voie à suivre et qui témoigne d’un désir de vérité… même si parfois les décodages ne sont pas exempts d’une certaine partialité, comme l’a fait remarquer Jean-Paul Krivine, rédacteur en chef de Science et pseudo-sciences en citant le cas du glyphosate dont la dangerosité ne cesse d’être fustigée par Le Monde, même par les auteurs de la rubrique Les décodeurs. Yves Bréchet, président de l’Union rationaliste a de son côté invité à prendre ses distances avec certains réflexes de notre société et notamment une recherche souvent partiale des conflits d’intérêt et qui parfois empêche toute transmission (quand le primat est accordé à l’origine du message avant son contenu). Enfin, la réintroduction d’une démarche scientifique, supposant des notions d’épistémologie, la culture du débat, le respect de la preuve et l’importance de la pensée méthodique a été rappelée par Thomas Durand qui anime la chaîne YouTube La tronche en biais, qui réalise un important travail de pédagogie scientifique, entre autres sur la nécessité de nous méfier des biais cognitifs propres au fonctionnement de notre esprit. On le voit bien, il s’agit d’une quête ardue et intemporelle ainsi résumée de façon bravache et grisante par le professeur de sociologie Gérald Bronner citant un personnage de la saga Le Seigneur des Anneaux : « Un combat perdu d’avance, des tas de coups à prendre, peu de chance de gagner…Qu’attendons-nous ! ». Aurélie Haroche

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