Prise en charge de l’autisme : la France peut beaucoup mieux faire (Jérôme Vincent, article paru dans Le Point)
La France accuse un grand retard sur les pays étrangers les plus efficaces dans la prise en charge de l’autisme. Comment y remédier ?
Depuis 2005, les plans sur l’autisme se succèdent, quelques progrès sont enregistrés au fil des années, mais la situation reste globalement déplorable. À plusieurs reprises, l’État a été condamné pour manquement à ses obligations légales en matière éducative, thérapeutique ou sociale vis-à-vis de ces personnes. Le gouvernement s’apprête à lancer un quatrième plan.« La France accuse toujours un retard de 20 à 30 ans sur des pays étrangers modèles », s’alarme Adrien Taquet, un député devant lequel le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, a dévoilé mercredi le rapport de son institution sur l’évaluation des politiques publiques de la prise en charge de l’autisme (voir document complet ci-dessous).
Approximativement 700 000 personnes, dont plus de 100 000 enfants et jeunes de moins de 20 ans, 600 000 adultes dont seulement 75 000 sont identifiés, souffrent de troubles du spectre autistique dans le pays. Il n’est possible de les dénombrer plus précisément faute d’enquête épidémiologique d’envergure nationale. Le coût de leur prise en charge médicale, médico-sociale et psychiatrique, frise les 4 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent au moins 2,5 milliards de prestations, de dépenses fiscales et pour les aidants à la scolarisation.
Carences
Les premières carences relevées par les inspecteurs de la Cour des comptes touchent aux connaissances des troubles autistiques qui « demeurent trop lacunaires, même si elles ont progressées », déplore Didier Migaud. En conséquence, le risque de sous-diagnostic est encore substantiel, de même que celui de surdiagnostic. Le recours à des équipes pluridisciplinaires sous la responsabilité de spécialistes pour l’établissement des diagnostics n’en est que plus nécessaire. Longtemps sujet de polémiques très fortes et de guerres entre spécialistes, la diversité des approches de soins demeure.
Toutefois, un consensus s’est enfin dégagé en faveur d’interventions individualisées, précoces, relayées par les familles. En outre, il a été démontré que ce mode d’intervention, sans être miraculeux, permet de diminuer les troubles et de rendre possible l’inclusion dans la société des patients. À l’inverse, en l’absence de soins pertinents, le risque de « surhandicap » est élevé, ce qui induit ensuite des prises en charge très lourdes dans la durée. Malheureusement, beaucoup de lacunes subsistent.
Structures engorgées et manque de moyens
Chez les enfants, deuxième point noir, le nécessaire programme de repérage, de diagnostic et d’intervention précoces demeure appliqué de façon hétérogène. Il a progressé dans les centres de ressource autisme déployés sur tout le territoire, dans chaque région. Mais ces structures sont engorgées. Les délais d’attente moyens entre la réception de la demande de consultation et le premier rendez-vous varient de 16 à 309 jours, notent les enquêteurs. Il se passe entre ce premier rendez-vous et l’engagement d’un bilan diagnostic ou fonctionnel entre 18 et 735 jours. Enfin, 2 à 260 jours s’égrènent encore entre le début et la fin de ce bilan, avec sa restitution à la famille et aux professionnels concernés. Au total, il faut compter entre 265 jours et 975 jours pour bénéficier d’un diagnostic précis de troubles ou d’absence de trouble, soit entre 22 mois et près de 7 ans.
« Certaines ambitions des plans précédents sont laissées lettre morte, regrette Didier Migaud. Le repérage systématique au 24e mois n’est pas rentré en vigueur. » L’offre de prise en charge infantile et les résultats sont contrastés. L’effort de rattrapage et de création de places en écoles ordinaires ou collectives ainsi qu’en établissements et services médico-sociaux a été réel, mais reste très insuffisant. Ainsi pour les interventions elles-mêmes, le développement d’unités d’enseignement maternel autisme et des services d’éducation spéciale et de soins à domicile ne permet de répondre qu’à 15 % des besoins.
« Globalement, l’inclusion des autistes dans le système éducatif est encore difficile »
Les listes d’attente sont longues, beaucoup d’enfants placés en Belgique il y a quelques années y demeurent, beaucoup y partent encore. La scolarisation des élèves présentant des troubles de l’autisme est certes meilleure qu’auparavant, quelques réalisations régionales sont exemplaires comme autour de Limoges, mais globalement leur inclusion dans le système éducatif est encore difficile. En conséquence, le niveau atteint par les élèves autistes progresse moins vite que pour ceux atteints d’autres handicaps : seulement 6,6 % des premiers ont rejoint le niveau secondaire, contre au lieu de 16,3 % pour les autres.
Troisième faille, abyssale celle-ci, l’accompagnement pour les adolescents et les adultes autistes émerge à peine. Outre qu’ils ne sont que marginalement dénombrés, que les connaissances sur cette population importante sont très faibles, leurs parcours de soins et d’aide sont heurtés, entre des institutions et des professionnels très divers. La Cour des comptes, qui a réalisé un sondage d’envergure auprès de personnes autistes et de leurs familles, relève que près de la moitié des répondants (46,5 %) ont fait état de périodes de rupture dans leur accompagnement, bref ont été abandonnées à elles-mêmes. Plusieurs réponses d’adultes autistes eux-mêmes notent avec amertume qu’il ne peut pas y avoir de rupture puisque pour eux il n’y a pas eu de parcours.
Les 11 propositions de la Cour
Partant de ce constat assez accablant, la Cour formule onze propositions (voir le rapport complet ci-dessous) dans trois directions différentes. Pour commencer, les connaissances doivent être renforcées. À cette fin, les magistrats-inspecteurs préconisent notamment de créer un institut de recherche du neuro-développement. Il associerait des compétences qui existent déjà sur le territoire en recherche fondamentale, clinique et en sciences humaines qui sont aujourd’hui isolées et dispersées. Au lieu de créer un énième « bidule », cet institut serait adossé à un organisme déjà existant, par exemple l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale).
Ensuite, la Cour recommande de mieux articuler les interventions des différents partenaires, innombrables (départements, régions, caisses d’allocations familiales, tribunaux, association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, etc.), au service d’un objectif renforcé d’inclusion dans la société des personnes autistes. Un exemple, les rectorats et les agences régionales de santé devraient décliner dans tous les départements les partenariats réussis entre l’Éducation nationale et le secteur médico-sanitaire et intégrer des établissements et services médico-sociaux dans un très grand nombre d’écoles ordinaires.
Dans plusieurs pays visités par la Cour pour cette enquête, l’inclusion scolaire des élèves autistes en classe ordinaire est beaucoup plus développée qu’en France, voire systématique. On y note d’ailleurs l’absence complète ou quasi complète d’institution spécialisée. C’est possible en Suède, en Norvège, en Italie, au Pays basque espagnol, alors pourquoi pas dans notre pays ?
Mieux repérer les enfants
Enfin, insiste la Cour, il est urgent de mieux assurer des prises en charge de qualité dans l’ensemble des territoires pour développer et systématiser le repérage des enfants en âge préscolaire par les médecins de première ligne et les professionnels de la petite enfance. Ou pour mettre en place dans chaque bassin de santé un service d’éducation spéciale et de soins à domicile précoces.
Pour ce faire, le niveau de formation des généralistes doit être considérablement augmenté : sondés par la Cour, un échantillon représentatif de ceux-ci a reconnu à une très forte majorité (62 %) que leur connaissance de l’autisme était faible à insuffisante. De même, seule une minorité d’universités proposent une formation des psychologues conforme à l’état des savoirs actuels. Enfin, il semble prioritaire que les membres du personnel de l’Éducation nationale soient formés à cette maladie et ce handicap, afin d’accepter de prendre ces personnes dans leurs classes et leurs établissements. Beaucoup de questions auxquelles va devoir répondre le prochain plan du gouvernement Philippe.
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