Comment un diurétique pourrait-il être efficace dans l’autisme ? (Paru dans le Journal International de Médecine, Dominique Monnier)
Dans les neurones immatures, l’acide gamma-aminobutyrique (GABA) est le principal neurotransmetteur excitateur. Lors de la naissance il existe une commutation des actions du GABA d’excitatrice à inhibitrice en relation avec une baisse du taux de chlorure intracellulaire (Cl-i), sous l’action de l’ocytocine, hormone maternelle qui a un rôle essentiel pour la protection du nouveau-né lors de la délivrance. Plusieurs observations suggèrent une altération de la signalisation GABAergique dans l’autisme.
Les effets favorables du bumétanide chez les enfants autistes
Les travaux de l’équipe d’Eric Lemonnier (Université de Brest) et de Yehezkel Ben-Ari (Inserm, Université de la Méditerranée à Marseille) repose sur l’hypothèse selon laquelle, dans l’autisme, le GABA excite les neurones en raison de concentrations intracellulaires élevées en chlorure. Sur ces bases ces chercheurs ont eu l’idée d’introduire, chez des enfants autistes, un traitement reposant sur l’administration d’un diurétique, la bumétanide. Celui-ci bloque le co-transporteur de chlorure NKCC1 (qui importe le chlorure), diminuant ainsi la concentration neuronale en chlorure et renforçant l’inhibition GABAergique.
Après le succès d’un essai pilote, fin 2012 les chercheurs ont révélé dans Translational Psychiatry (1) les résultats d’un essai randomisé portant sur 60 enfants de 3 à 11 ans souffrant d’autisme ou de syndrome Asperger. Les résultats ont montré une atténuation de la gravité des symptômes par la bumétanide administrée de façon chronique.
Il manquait cependant la preuve directe que la bumétanide exerce son effet favorable en réduisant le Cl-i dans les neurones centraux chez l’homme.
Des concentrations élevées de chlorure dans les neurones fœtaux d’animaux modèles d’autisme
La même équipe apporte des éléments nouveaux en se focalisant sur l’inhibition GABAergique pour caractériser les altérations qui se produisent au cours de la transition de la vie fœtale à la vie postnatale dans deux modèles animaux d’autisme : un modèle génétique chez la souris, le syndrome de l’X fragile, cause la plus fréquente d’autisme secondaire à une anomalie d’un seul gène, le gène FRM1 ; et un modèle produit par l’injection à la rate gestante de valproate de sodium, dont cet effet secondaire est connu. Des études électrophysiologiques étaient réalisées sur les cellules pyramidales de la région CA3 de l’hippocampe à partir de coupes tissulaires ainsi qu’in vivo.
Les chercheurs ont montré que la diminution du Cl-i des neurones pyramidaux lors de la naissance est abolie dans les modèles d’autisme d’une façon sensible à la bumetanide et à l’ocytocine. L’action du co-transporteur KCC2 (export de chlorure) est également régulée négativement dans les deux modèles animaux. Les actions dépolarisantes du GABA sont en outre associées à une excitation des neurones des jeunes animaux (nouveau-nés et adolescents). On enregistre un quadruplement de la fréquence des courants excitateurs glutamatergiques post-synaptiques spontanés dans les modèles d’autisme, tandis que la bumétanide restaure la fréquence contrôle glutamatergique.
Un effet du diurétique en prétraitement chez l’animal
Le prétraitement maternel des animaux modèles par le diurétique permet de rétablir le mécanisme de passage du GABA d’un rôle excitateur à un rôle inhibiteur et la faible concentration en chlorure lors de la mise bas. Chez des souris naïves, le blocage de la signalisation de l’ocytocine par la pré-administration d’un antagoniste sélectif du récepteur de l’ocytocine entraîne chez les souriceaux nouveaux nés des altérations similaires à celles observées dans les modèles d’autisme, soulignant l’importance du lien ocytocine-GABA.
Restait aux chercheurs à vérifier la traduction comportementale de ces résultats. C’est chose faite puisque prétraiter par la bumétanide des femelles modèles peu avant la mise bas permet de prévenir l’apparition de symptômes autistiques-like chez la progéniture, restaurant le comportement « naïf » des animaux. A l’inverse le blocage de la signalisation de l’ocytocine chez les animaux naïfs produit des comportements autistiques dans la descendance. Des changements similaires s’observent sur les oscillations gamma, que l’on sait altérées chez les patients autistes.
Une explication expérimentale d’un effet clinique
Cette étude conforte l’hypothèse de l’importance de la voie ocytocine-chlorure intracellulaire-transition du GABA dans l’autisme et démontre que la bumétanide exerce son bénéfice en réduisant le Cl-i dans les neurones chez l’animal. Ce travail valide les essais cliniques utilisant le diurétique pour réduire les ions chlorures chez les personnes atteintes d’autisme, actuellement la démarche clinique la plus prometteuse contre la maladie. De façon intéressante, chez le rongeur, le diurétique pris avant la naissance corrige les déficits chez les descendants. Un pas vers la prévention de l’autisme ?
Dominique Monnier