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L’autisme, une pensée « autre » (Alain Cohen, article paru dans le Journal International de Médecine du 6/10/2014)

Concept promu par les sujets autistes eux-mêmes, la neurodiversité « traduit l’idée que l’autisme n’est pas une forme déficitaire de la cognition humaine, mais une variante » rappelle Fabienne Cazalis[1]. En d’autres termes, chez ces personnes dites pudiquement « avec autisme », l’intelligence n’est pas toujours diminuée (déficience intellectuelle), mais en réalité singulière, différente de celle des individus « neurotypiques » (les personnes non autistes). Admettre cela permettrait de terrasser le préjugé (sur « l’infériorité intellectuelle ») qui représente un obstacle important à l’intégration sociale des autistes, en particulier en milieu professionnel.

L’auteur déplore cette mise à l’écart des intéressés, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour la société toute entière, car les particularités de leur intelligence constitueraient pourtant « un atout dans certaines professions de pointe. » On cite souvent en exemple l’acuité des autistes pour détecter des modifications minimes dans leur environnement : si cet attachement au moindre détail est souvent source de souffrance pour les sujets autistes (ritualisation, angoisse face aux changements ou à l’imprévu), il peut aussi représenter un avantage éventuel de « compétences atypiques » pour certaines tâches.

Certaines grandes entreprises d’Allemagne pratiquent ainsi une « discrimination positive » en embauchant des autistes à des postes nécessitant « précision et rigueur » (notamment en informatique). De même, l’armée israélienne emploie aussi des autistes pour interpréter des clichés aériens[2]. Dans ces fonctions, ce qui est habituellement considéré comme un problème rédhibitoire pour la personne autiste (focalisation ritualisée sur des éléments apparemment insignifiants du contexte) se retourne au contraire en une aptitude remarquable apportant à l’entreprise une « diversité de pensée et de méthodes de travail » dont elle peut tirer parti, en justifiant alors, « au-delà de la démarche philanthropique », l’embauche de sujets avec cette « pensée différente. »

L’auteur fait un parallèle judicieux : la neurodiversité est à la pensée ce que la biodiversité est à l’environnement. Dans cet esprit, l’altérité de la pensée des personnes autistes pourrait se révéler une richesse pour l’humanité, en sachant mieux communiquer avec elles. Cette communication est facilitée par des moyens parfois « élémentaires : accorder (à l’interlocuteur autiste) du temps pour s’acclimater à son nouvel environnement ; réduire notre débit de parole ; éviter les métaphores ; favoriser les échanges à deux plutôt qu’en groupe. »

L’intégration professionnelle des personnes autistes ne se résume donc pas à un objectif humanitaire (ce qui serait déjà appréciable) : toute la société peut gagner au partage de leurs compétences et au respect de cette richesse potentielle d’une pensée « autre. »

[1] http://www.institutnicod.org/membres/post-doctorants-35/cazalis-fabienne/
[2] http://tsahal.fr/2014/04/10/les-autistes-au-sein-de-tsahal-rencontrez-les-genies-de-lunite-speciale-des-renseignements-9900/

Dr Alain Cohen

Références
Cazalis F : Autisme : pour une prise en compte de la neurodiversité. Pour la Science, 2014 ; 443 : 12–13.

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