Prudence sur les modifications transmissibles. Le Comité consultatif national d’éthique rend un avis nuancé sur l’édition de génome (ColineGarré, Le Quotidien Médecin)
« Entre espoir et vigilance » : telle est la position du Comité consultatif national d’éthique qui se dégage de l’avis 133 consacré aux enjeux éthiques des modifications ciblées du génome.
C’est une double rupture technologique qui convoque le questionnement éthique : le développement exponentiel des techniques de séquençage du génome, et la mise au point d’outils modifiant les séquences existantes d’ADN, les ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9 et CRISPR-Cas13, ces derniers permettant de modifier l’ARN. L’actualité l’a rendu d’autant plus impérieuse : la ligne rouge de l’implantation d’embryons génétiquement modifiés a été franchie fin 2018, lorsque le chercheur chinois He Jiankui a annoncé la naissance de jumelles au génome manipulé pour être résistant au VIH – une entreprise mondialement condamnée.
Encourager les travaux sur les cellules somatiques
Le CCNE émet diverses recommandations selon les champs d’application de l’édition génomique.
Il appelle d’abord à encourager les laboratoires de recherche à développer les connaissances et les approches expérimentales visant à les rendre plus sûres voire réversibles. Notamment en ce qui concerne les organismes vivants non humains (plantes, animaux), pour lesquels le CCNE, faisant honneur à son titre complet (Comité « pour les sciences de la vie et de la santé »), recommande de considérer le bien-être animal et l’éventuel bouleversement d’écosystèmes.
Dans le champ des interventions sur le génome humain, le CCNE invite aussi à soutenir les équipes qui expérimentent des modifications ciblées de l’ADN dans le cadre de thérapies géniques somatiques (thérapie cellulaire avec des cellules souches hématopoïétiques ou des cellules reprogrammées iPS, utilisation de CAR-T Cells dans les tumeurs ou de lymphocytes T modifiés dans les infections virales, etc.). « Des questionnements éthiques demeurent mais sont à considérer au même titre que ceux concernant toute thérapie génique », indique le CCNE. Dès 1990, il traçait les frontières à ne pas franchir : ne pas modifier des caractères génétiques généraux physiques ou psychiques dans les maladies héréditaires ; et n’envisager les recherches de thérapie génique que pour les maladies monogéniques, à l’origine d’une pathologie particulièrement grave.
Grande prudence à l’égard du germinal
Ces questionnements deviennent en revanche extrêmement sensibles lorsque les modifications du génome se transmettent à la descendance, via les gamètes ou l’embryon préimplantatoire. La modification du génome des cellules germinales humaines, hors recherche fondamentale, est interdite, car en contradiction avec la Convention d’Oviedo de 1997 et l’article 16-4 du Code civil. Ce dernier stipule : « sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne ».
Mais des brèches apparaissent ici et là, note le CCNE. Même pour des finalités thérapeutiques, le comité appelle à la plus grande prudence. D’abord, du fait des incertitudes techniques (effets « off-target », embryons « mosaïques », autres complications imprévisibles). Mais aussi, en raison des enjeux éthiques que soulève la transformation du génome humain. Qu’est-ce qui relève du soin ou de l’eugénisme ? Le CCNE botte en touche et appelle « au-delà de cet avis, à une réflexion éthique spécifique ». Ne serait-ce qu’à l’égard de la thérapie de remplacement mitochondrial (« bébé à trois parents »), où l’ADN mitochondrial ne subit pas de modification génétique, le CCNE s’interroge sur la frontière entre traitement d’une maladie potentiellement létale et eugénisme.
Il plaide in fine pour un moratoire international préalable à toute modification ciblée du génome transmissible, le temps que les incertitudes techniques et scientifiques se réduisent, et que la réflexion sociétale fixe les limites entre une modification du génome germinal qui relèverait du soin, et d’autres qui représenteraient des dérives eugénistes. Cette réflexion devrait aussi s’atteler à la question du choix entre bénéfice individuel (supprimer une maladie ou un handicap) et risque collectif (refus de la différence), ou encore aux conséquences de l’impossible consentement à obtenir de l’enfant à naître.
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