Hausse inquiétante de la consommation d’oxycodone en France (Grégoire Griffard, Journal International de Médecine)
Bordeaux, le mercredi 31 mai 2023 – La Société française de pharmacologie et de thérapeutique s’inquiète de la hausse de la consommation d’oxycodone, un antalgique puissant.
C’est un médicament de sinistre réputation. Commercialisé depuis 1996 sous le nom d’OxyContin par la firme américaine Purdue Pharma, l’oxycodone est un puissant antalgique, réservé en principe aux douleurs intenses résistantes aux autres traitements. Mais aux Etats-Unis, sa prescription hors de tout contrôle a été au cœur de la crise des opiacés, l’un des plus graves scandales sanitaires de l’histoire, qui aurait entrainé la mort de plus de 500 000 Américains ces vingt dernières années.
En France, où la commercialisation et la prescription de médicaments est semble-t-il plus encadré que de l’autre coté de l’Atlantique, nous semblions épargner par ce type de problème. Mais le 22 mai dernier pourtant, la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) a tiré la sonnette d’alarme : la consommation d’oxycodone a augmenté de 738 % en France entre 2006 et 2017. La situation est particulièrement inquiétante dans le Sud-Ouest de la France : en Nouvelle-Aquitaine, on dénombrait, en 2021, 900 patients pour 100 000 habitants consommant de l’oxycodone, contre 735 en 2017, soit une augmentation de 25 %.
Aucun argument pour préférer l’oxycodone à la morphine
En principe, l’oxycodone ne doit être proposé qu’en deuxième intention, en cas d’échec de la morphine. Mais selon la SFPT, de plus en plus d’anesthésistes et de chirurgiens prescrivent de l’oxycodone à leurs patients après une opération, estimant que ce médicament présente un profil de sécurité comparable à la morphine et moins d’effets secondaires (notamment de constipation et de problèmes rénaux).
Pourtant, la SFPT rappelle que, selon les différentes études sur le sujet, « il n’y a aucun argument pour préférer la primo-prescription d’oxycodone par rapport à la morphine ». L’oxycodone n’est pas deux fois plus puissant que la morphine contrairement aux idées reçues et est à la fois plus addictif (en raison d’une action dopaminergique plus importante) et plus risqué, que ce soit concernant le danger d’overdose, d’interaction médicamenteuse ou de trouble du rythme cardiaque. Enfin, « il n’y a pas à ce jour d’étude indiquant une différence de problèmes de constipation entre morphine et oxycodone » rappelle la SFPT.
23 morts d’overdose en 2019
Si la France est encore loin de connaitre la même tragédie que les Etats-Unis, le nombre de décès lié au mésusage d’oxycodone a été multiplié par quatre entre 2013 et 2019 pour atteindre 23 décès cette année-là. La SFPT pointe notamment du doigt le risque de mésusage en raison d’une méconnaissance du produit (utilisation d’oxycodone pour dormir) ou d’un usage détourné par des toxicomanes. « Les patients ont une méconnaissance de la dangerosité de ce médicament, pour diminuer la douleur, ils augmentent les doses sans en parler à leur médecin : en cas de surdosage, le risque c’est le coma puis le décès par arrêt respiratoire » s’inquiète le Dr Maryse Lepeyre-Mestre, responsable du centre d’addictovigilance de Toulouse.
« Nous ne sommes pas encore dans une crise, mais la hausse des prescriptions est bien réelle » résume le Pr Francesco Salvo, pharmacologue au CHU de Bordeaux et responsable du centre régional de pharmacovigilance. « Il faut prendre ce signal au sérieux du fait de l’histoire très lourde de ce médicament. Aux Etats-Unis, les overdoses à répétition ne sont pas arrivées du jour au lendemain. Au contraire, pendant sept à huit ans, cette consommation est restée un peu sous les radars avant de déboucher sur le problème de santé publique que l’on connait » prévient-il. Il ne préconise pas pour autant un retrait de l’oxycodone du marché. « Ce traitement peut être utile, à condition de respecter les précautions nécessaires, il ne faut pas le proposer en première intention mais le réserver aux cas où la morphine ne suffit pas » rappelle-t-il. En France, en principe, l’oxycodone ne peut être délivrée qu’au vu d’une ordonnance sécurisée, pour une durée maximale de 28 jours.