À la mort de John Lennon, pour évoquer le désormais « paradis perdu » du début des années 1960, un magazine avait titré : « Il y avait Kennedy, de Gaulle et les Beatles.» De même, on pourrait ainsi schématiser la psychiatrie du XXèmesiècle : il y avait Freud, l’autisme et les psychoses… Mais tout a changé : la psychanalyse est critiquée, les psychoses ont reculé, absorbées par l’inflation des troubles du spectre autistique (TSA), or l’autisme lui-même est parfois contesté, malgré ou à cause de cette expansion. Comme le rappelle le psychiatre et psychanalyste Patrick Landman (dans sa contribution au dossier de la revue Empan intitulé Que sont les psychoses (infantiles) devenues?), « certains vont jusqu’à considérer que l’autisme est une autre façon d’être, il y a les neurotypiques et les neuro-atypiques, comme il y a les gauchers et les droitiers. » Patrick Landman explique notamment qu’il a été « mis fin à l’indifférenciation» entre autisme et psychose très précoce « non par la science, mais par le législateur» aux États-Unis. L’opinion selon laquelle « l’autisme n’est plus une psychose» s’est imposée en effet « à partir d’un processus enraciné dans le vote en 1975 par le Congrès américain du Development Disabilities Act et proclamant la nécessité de prises en charge spécifiques. » À ce propos, l’auteur pointe un retournement insolite qu’il nomme une « ruse de l’histoire» : alors que, depuis Kanner, le champ des psychoses infantiles semblait avoir « envahi celui de l’autisme», avec une «confusion possible entre autisme et psychose», le diagnostic de psychose tend à reculer de façon spectaculaire sous l’effet du DSM ayant « étendu le champ de l’autisme au point d’englober dans sa dernière édition pratiquement toutes les anciennes pathologies (psychoses, schizophrénies infantiles, dysharmonies…) dans les TSA.» Réduit jadis à une portion congrue par la psychose infantile, l’autisme a ainsi « pris sa revanche» sur cette entité nosographique « rivale. » Ce rejet des psychoses tient aussi au lobbying efficace de certaines associations de familles détestant cette étiquette pour ses accointances présumées avec « la folie, la psychanalyse et la psychopathologie.»
Conception moniste du psychisme
Ce dernier point est essentiel : les conceptions actuelles incitent à écarter tout ce qui relèverait du « pur fait psychique», au bénéfice exclusif d’un « signifiant neuro-développemental emportant avec lui une référence étiologique tournée vers la neurologie.» Dopées par l’essor de la neuro-imagerie, les neurosciences semblent engloutir toute la psychiatrie et la pédopsychiatrie classiques, « au profit d’une médecine déterministe du cerveau.» On en vient à une ère de «monisme étiologique» où toute velléité de dualisme de type corps/esprit (brain/mind) est dénigrée implicitement comme une approche « obscurantiste» des causes des maladies mentales, elles-mêmes remplacées d’ailleurs par des « troubles», par conformité au DSM préférant le terme « disorder» (désordre, dysfonctionnement), plus mécaniste que le concept traditionnel de «maladie. » Presque scientiste, cette conception moniste du psychisme (où le cerveau pourrait quasiment sécréter la pensée comme le foie sécrète la bile) contribue à expliquer le rejet farouche des approches préalables comme la psychanalyse, plus équilibrées dans le dualisme matière/information (ou somato-psychique). Si l’échec de la psychanalyse est patent dans la conception de Bettelheim sur l’implication d’une « mère frigidaire», la position plus mesurée des psychanalystes actuels doit susciter en retour une réflexion approfondie et un débat dépassionné, quand ils définissent l’autisme comme « la forme la plus grave de l’échec de l’intersubjectivité. »
Dr Alain Cohen
Patrick Landman : Quelques différences entres psychoses infantiles et autismes et leurs conséquences. Empan; 2019/1; 113 : 13–17.