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Pesticides : quels effets sur la santé ? (Dr Irène Drogou, Le Quotidien du Médecin)

Glyphosate, chlordécone et récemment métam-sodium, les dossiers qui font ces derniers temps la « une » des médias font plus que jamais planer la possibilité d’une menace générale des pesticides pour la santé des populations. Avec plus de 1 000 substances actives dont plus de 300 autorisées en France et plus de 60 000 tonnes/an, l’affaire n’est pas mince.

Entre preuves scientifiques et principe de précaution, pression de lobbys agricole et industriel et discours apocalyptique écologiste, il est parfois bien difficile de s’y retrouver. La confusion est à son comble devant l’incohérence à l’internationale des autorités sanitaires, notamment pour le glyphosate, le centre international de recherche sur le cancer (CIRC) l’ayant classé cancérogène probable à l’encontre de toutes les autres. Pourquoi tant d’incertitudes ? De quoi faut-il avoir réellement peur ?

Épidémiologie et mécanistique

Pour Xavier Coumoul, toxicologue ayant participé à l’expertise collective Inserm 2 013 sur pesticides et santé : « L’approche épidémiologique ne suffit pas à affirmer le lien de causalité directe entre une exposition – très difficile à mesurer de façon rétrospective car les usagers ne se souviennent ni de la durée ni de la nature des produits utilisés – et une pathologie donnée ». Les preuves reposent sur des cas-témoin et des études rétrospectives, au mieux. « Pour bien faire, il faudrait des études prospectivesexplique Alfred Bernard, toxicologue à l’université de Louvain. Le classement des substances cancérogènes est souvent sous-estimé par absence d’études ». L’absence de données n’est en effet pas synonyme d’absence de toxicité.

C’est ainsi que « l’approche mécanistique, c’est-à-dire la recherche de mécanismes d’action potentiellement responsables, vient en renfort pour étayer le niveau de preuves, de même que les modèles animaux, développe Xavier Coumoul. C’est pourquoi la formulation est prudente, parlant d’effets plus ou moins probables. Mais s’il y a des incertitudes, il y a des quasi-certitudes ».

La nocivité des pesticides, dont l’objectif est de détruire des nuisibles, insectes, herbes ou champignons, tient à leur caractère non-spécifique, les mécanismes visés étant le plus souvent conservés entre les espèces, ce qui explique les effets collatéraux sur la faune (notamment les abeilles avec les néonicotinoïdes) et chez l’homme.

Génotoxicité, stress oxydant, respiration mitochondriale, neurotoxicité, effets perturbateurs endocriniens (interaction avec les récepteurs nucléaires, perturbation des voies de signalisation cellulaire), etc., les effets sont nombreux. Mais l’identification d’un mécanisme d’action toxique ne signe pas pour autant la causalité.

Dose, durée, période de la vie

« Les cellules ont des moyens de se protéger et de se défendre, via la réparation des mutations ou un système de détoxification », explique Laurence Payrastre, chercheuse à l’INRA. Trois éléments sont importants à prendre en compte pour la dangerosité de l’exposition, résume Xavier Coumoul, « il s’agit de la dose, de la durée et de la période de la vie à laquelle elle a lieu ».

Les quasi-certitudes concernent deux grands groupes à risque : les travailleurs du monde agricole et l’enfant suite à une exposition prénatale. « Maladie de Parkinson, lymphome non hodgkinien (LNH), myélome multiple, cancer de la prostate, les données sont nombreuses et concordantes chez les agriculteurs », explique le toxicologue.

Pour Alfred Bernard, « les agriculteurs n’ont utilisé aucune protection pendant longtemps, ni gants, ni masques ni vêtements longs ni cabines de tracteurs étanches, et cela n’est pas toujours facile à appliquer aujourd’hui, surtout par temps chaud ».

La maladie de Parkinson et le LNH sont reconnus comme maladies professionnelles, respectivement depuis 2012 et 2015. Pour la maladie de Parkinson en particulier, l’exposition aux pesticides est associée à un excès de risque évalué à 62 %.

À côté de ces présomptions fortes, d’autres moins évidentes sont évoquées chez les agriculteurs : maladie d’Alzheimer, troubles cognitifs, troubles anxio-dépressifs. Quant à la baisse de la fertilité masculine, si elle a été bien établie pour des pesticides aujourd’hui interdits, les conclusions restent contradictoires pour les autres.

Exposition résidentielle in utero

Avec les enfants, la dimension du problème touche à la santé publique. L’impact de l’exposition professionnel est aussi fort qu’une exposition résidentielle (proximité, épandage, insecticides à usage domestique). « La métaanalyse Metachild confirme un niveau fort de présomption pour les leucémies et les tumeurs cérébrales chez les enfants exposés en prénatal, explique Laurence Payrastre. La vulnérabilité des jeunes enfants peut s’expliquer par la forte prolifération tissulaire, qui expose davantage le génome, et par l’immaturité du système de détoxification encore immature ». Les effets graves établis ne se résument malheureusement pas là : malformations congénitales et morts foetales, neurodéveloppement (chlordécone), croissance pondérale (chlordécone).

Pour ce qui est de la population générale, l’exposition aux pesticides peut être domestique (phytosanitaires, insecticides) mais reste essentiellement alimentaire, via les résidus retrouvés sur les végétaux. Pour Laurence Payrastre, « les consommateurs « bio » commencent à faire ressortir des bénéfices à éviter les pesticides sur la santé, pour le risque de cancers et surtout de troubles métaboliques » (cf. article bio). Comme pour les agriculteurs, les études peinent à faire ressortir une baisse de la fertilité chez les utilisateurs de pesticides domestiques.

Aller vers les études prospectives

Est-il pertinent de continuer à parler des pesticides de façon globale ? Et peut-on imaginer des pesticides sans danger ? « Pour qu’un pesticide puisse être inoffensif, il faudrait qu’il soit totalement spécifique du monde végétal », explique Xavier Coumoul. Si les effets sont différents selon les pesticides, l’évaluation famille par famille reste compliquée. « Le glyphosate en particulier est étudié de près, compte tenu de son utilisation très large, explique Xavier Coumoul. C’est l’un des points importants de la nouvelle expertise Inserm qui a commencé en septembre ».

De l’avis général, il faudrait regarder à la loupe les organophosphorés, ayant une panoplie d’effets sur l’homéostasie cellulaire, mais aussi les pyrithrénoïdes, « utilisés dans les maisons », relève la chercheuse Inra. Sur le versant de l’utilisation professionnelle, l’expertise Inserm 2 013 avait recommandé la mise en place de registres agricoles plus fins et… leur exploitation, « ce qui nécessite de vrais moyens », lance Xavier Coumoul.

Dans la population générale, des études prospectives commencent à se mettre en place, à la fois pour mesurer le niveau d’exposition de la population à différents types de pesticides (cohortes ENNS, Elfe) – les premiers résultats de l’étude Esteban sont attendus début 2019 – mais aussi pour mesurer l’impact sur la santé, comme l’atteste l’initiative récente de Nutrinet (cf. article bio).

 

 

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