Intox/détox Sans lactose : la polémique bout (Christian Delahaye, Le Quotidien du Médecin)
Fortement relayés par les médias et surtout par les réseaux sociaux, les régimes d’exclusion débordent des rayons alimentaires pour investir les modes de vie, avec les « sans-se-laver », « sans-s’habiller »… Le même scénario attire à chaque fois des foules d’adeptes : haro sur un produit, une substance, un comportement, qui empêcherait de bien vivre. Enjeu : se soigner individuellement, en dehors des chemins médicaux scientifiquement balisés. « Le Quotidien » propose un état des lieux de ces « sans-sans », en deux temps : intox/détox.
Intox au lait ?
C’est assurément l’aliment le plus polémique, avec un violent débat autour de son principal glucide, un composé d’une molécule de glucose et d’une molécule de galactose reliées par une liaison bêtagalactosidase, le lactose. Pour être digéré, le lait doit être hydrolysé par la lactase-phlorizine hydrolase. C’est la déficience de cette enzyme qui est à l’origine de l’intolérance au lactose. À partir d’elle, la polémique a bouilli autour du lait.
Champion de la croisade anti-lait, le journaliste scientifique Thierry Souccar dénonce carrément « l’intox de l’industrie agro-alimentaire qui aurait fait d’un aliment marginal et mal considéré un pilier incontournable de l’alimentation moderne » (« Le lait, mensonge et propagande », 2007).
Les anti-lait et autres anti-lactose puisent leurs arguments dans une abondante – et souvent contradictoire – littérature scientifique, épidémiologique et statistique. Ils allèguent que la physiologie humaine ne serait pas adaptée à l’important apport en calcium du lait de vache, observant qu’aucune espèce de mammifère n’a jamais tété le lait d’une autre espèce ; ils accusent le lait de contribuer à l’obésité, aux infections ORL, aux troubles respiratoires, aux maladies cardio-vasculaires, ainsi qu’à certains cancers. Sans oublier la polyarthrite, la sclérose en plaques, ni l’infertilité masculine.
Ils font pièce de l’argument lait = calcium = diminution du risque d’ostéoporose, en excipant des données suédoises (importante consommation de lait et forte prévalence des fractures), nouvelles-guinéennes et chinoises (faible consommation de lait et ostéoporose rarement signalée).
Moyennant quoi, près de 4 millions de Français présenteraient toutes sortes de troubles parce qu’ils consomment plus de 12 grammes de lait par jour (équivalent d’un verre de lait), ils seraient des intolérants au lactose qui s’ignorent. Et les rayons lait sans lactose des grandes surfaces attestent d’une sensibilité grandissante d’un public qui s’imagine intolérant sans l’être.
Détox
« Les arguments anti-lait exercent une large influence sur les consommateurs alors qu’ils ne reposent sur aucun support scientifique réel », leur oppose le Pr Jean-Marie Bourre, neurotoxicologue, qui met en avant une méta-analyse de 139 publications concluant à l’effet bénéfique des produits laitiers sur la masse osseuse (Heaney, 2000). Ils assurent aussi une bonne musculature, grâce à leurs protéines solubles et caséines (Lacroix, 2006) et apportent nombre de vitamines et oligo-éléments (zinc, sélénium), iode et oméga-3.
Le Pr Léon Guéguen, ex-directeur de recherche INRA, ne se prive pas non plus de dénoncer les anti-lait, soulignant que « les intolérances ne touchent en majorité que les enfants en bas âge et qu’avec les fromages et les yaourts, on ne connaît que des bénéfices et aucun inconvénient ».
En fait, accuse le Pr Jean-Michel Lecerf (Institut Pasteur de Lille) « dans ce combat très violent engagé par les croisés de l’anti-lait, il faut dénoncer l’activisme des antispécistes que sont les véganes, ils s’acharnent contre un aliment symbolique et refont le monde nutritionnel et la philo-génétique en dénaturant les études pour jeter l’opprobre sur un produit complexe ; certes il n’est pas parfait, mais dont sa suppression est beaucoup dangereuse pour la pour la santé que sa consommation. L’enjeu de ce débat est idéologique et non scientifique. » De fait, le PNNS (programme national nutrition santé) continue de recommander trois produits laitiers quotidiens.